Esclavage et culpabilité

Une discussion un dimanche après-midi avec ma plus jeune fille, alors que nous sommes en train de ranger la cuisine après le départ de toute une bande d’amis invités à déjeuner :

« – Pfffff…. C’est casse-pied de ranger.

– Ah ben oui ma fille, mais il faut bien le faire.

– J’adorerai avoir un petit esclave, genre petit lutin de la forêt, qui fasse tous les trucs casse-pieds à ma place ! Ranger ma chambre, nettoyer la cage de mes lapins…

– Sûr, ça serait cool ! »

Nous continuons à ranger, mais je la vois qui cogite…

– « Tout de même… Ça doit être trop gênant de ne rien faire et de faire travailler ton esclave ! Tu imagines comme on doit culpabiliser ? Comment ils faisaient les gens avant, quand il y avait de vrais esclaves, pour ne pas se sentir mal devant eux ?

– Ils ne se rendaient pas compte, ça leur semblait normal. Mais heureusement il y avait des gens comme toi qui trouvaient ça trop triste et injuste, et qui ont fait abolir l’esclavage.

– Heureusement… En tout cas, pour moi, ça serait trop gênant. Il me faudrait un robot, en fait. Voilà, un petit robot esclave, qui m’obéirait et ferait tout ce que je lui demanderai ! »

Et nous terminons le boulot en plaisantant sur notre futur petit robot esclave.

On peut considérer (même si tout cela se discute, évidemment) que certains points se sont dégradés dans nos sociétés, par exemple en termes de solidarité entre personnes (entre voisins, entre salariés…).

Mais une chose s’est clairement améliorée dans les consciences, au moins en Occident : l’aversion spontanée de l’immense majorité de nos enfants pour toute forme de domination injustifiée, abusive et prétendument légitimée d’un humain sur un autre. Il me semble que c’est un acquis sur lequel il est désormais impossible de revenir.

Illustration : Léon Tolstoï et ses petits-enfants. Tolstoï, qui se battit contre l’esclavage des moujiks. Et écrivit une belle nouvelle sur les rapports maître et serviteur…