Histoires d’écrans (encore)
Il y a quelque temps de cela, je bavardais avec Jon Kabat-Zinn, le rénovateur visionnaire des approches de méditation basée sur la pleine conscience, à propos des méfaits des écrans. Chacun de nous avait ses petites anecdotes à ce propos…
Voici la sienne…
Il y a quelque temps, il animait une rencontre sur la méditation dans une entreprise californienne branchée, du genre de Google ou quelque chose comme ça. À un moment, il propose un petit exercice de quelques minutes au public. Tout le monde s’exécute, ferme les yeux, respire en pleine conscience. Tout le monde sauf un gars qui continue de pianoter discrètement sur son smartphone. Jon s’approche pour voir ce qu’il fabrique au lieu de faire l’exercice. Le bonhomme très gêné range vite son matériel, ferme les yeux et fait comme les copains. Mais à la pause, Jon va l’interroger, et le gars confus lui avoue qu’avant de commencer l’exercice, il voulait absolument tweeter l’info pour annoncer à ses followers : « Devinez quoi ?! Je suis en train de faire de la méditation avec le célèbre Jon Kabat-Zinn ! »
Et voici la mienne…
L’autre jour, j’animais un petit atelier sur le thème de l’équilibre émotionnel. La plupart des participants étaient attentifs ; mais beaucoup d’entre eux, régulièrement, consultaient l’écran de leur smartphone. Et l’un d’entre eux y était carrément collé, levant juste un œil vers moi de temps en temps, quand je faisais rire la salle, pour voir ce qui se passait et qui lui échappait.
À un moment, je parle d’une citation dont j’avais oublié l’auteur. Quelques minutes plus tard, le bonhomme en question m’interrompt pour me donner la bonne réponse : il avait entendu que je séchais, et il avait cherché sur Internet et retrouvé la citation et l’écrivain.
Au lieu de m’écouter, il préférait manifestement surfer à la recherche d’informations. Puis, à un moment, je me suis aperçu qu’il avait rangé son engin, et qu’il m’écoutait attentivement. Enfin presque. Car au bout d’un moment, manifestement pas du tout habitué à écouter sans rien faire, à faire marcher son cerveau sans la stimulation des écrans, il commença à somnoler.
À la pause j’allais lui parler pour voir un peu comment ça se passait dans sa tête. Je voulais aussi comprendre pourquoi à un moment il s’était mis à m’écouter. En avait-il fini avec des urgences (ou pseudo-urgences) qu’il devait régler ?
Pas du tout. Il m’avoua juste ceci : « En surfant sur le Web à partir de votre nom, je me suis aperçu que vous aviez écrit des trucs assez intéressants. Alors je me suis dit que j’allais vous écouter… »
Moralité :
1) avant de juger si quelqu’un est « écoutable » il cherchait les jugements sur le Net à son propos, au lieu de se faire une opinion par lui-même, en écoutant et observant en direct ;
2) il n’avait pas de réelle urgence à traiter à distance ce matin-là (la preuve, sa vitesse de réaction lorsqu’il m’entendit dire que je ne me souvenais pas d’un auteur) ;
3) son cerveau était devenu presque incapable de rester en éveil face à la vraie vie (un conférencier) et était devenu accro au rythme du Net (zapper, changer, réagir à ce qui bouge et clignote ; s’endormir devant tout le reste) ;
4) j’ai bien l’impression qu’il y a de plus en plus de personnes dans son cas ;
5) il y a du boulot pour nous autres humains, avant d’apprendre à bien gérer ces écrans merveilleux et sataniques…
Illustration : notre cerveau devient de plus en plus accro à ce qui brille et qui bouge. Saurons-nous un jour réapprendre à contempler l’immobile ?