L’âge que j’ai dans ma tête

 

« Dans chaque vieux, il y a un jeune, qui se demande ce qui s’est passé. »

Derrière la célèbre boutade de Groucho Marx se cache une réalité psychologique. Peut-être avez-vous parfois ce sentiment, en vous regardant dans le miroir le matin : l’inconfort étrange de découvrir que votre visage semble plus âgé que votre esprit ?

Rassurez-vous, tout le monde éprouve cela !

Nous nous sentons toujours bien plus jeune que notre état civil, ou que notre apparence physique. D’où notre surprise les premières fois où on nous donne du « madame » ou du « monsieur », les premières fois où on nous cède une place assise dans le bus, les premières fois où on réalise qu’on est la personne la plus âgée dans une soirée…

À ce jour, plus de 300 travaux scientifiques ont confirmé ce « subjective-rejuvenation-effect ». Et une récente étude vient de le chiffrer à environ 10-12 ans : de nos jours, une personne âgée de 60 ans a le sentiment de n’en avoir que 50. Et donc, tend à vivre selon cet âge subjectif, à s’habiller, se comporter, raisonner, aimer comme quelqu’un de 50 ans et non de 60.

Les mêmes études concluent que cet effet est majoritairement bénéfique : se sentir plus jeune que son âge nous fait du bien, sur le plan émotionnel (on se sent plus heureux), psychologique (on garde des envies et des projets), comportemental (on reste plus actif). C’est aussi bon pour notre santé (on reste énergique, sociable, curieux).

Bien sûr cela ne doit pas nous conduire au déni d’âge : s’habiller à 60 ans comme les personnes de 20 ans peut être légèrement ridicule, tout comme il peut être risqué de s’adonner à des sports extrêmes avec un corps devenu moins robuste.

Comment expliquer cette tendance universelle ?

Pour certains chercheurs, ce serait un mécanisme inconscient pour protéger l’estime de soi : garder les qualités reconnues à la jeunesse (beauté, charme, énergie) sans forcément d’ailleurs renoncer à celles de la vieillesse (bienveillance, expérience, recul).

Mais il y a aussi une évidence : quand on regarde les photos de nos grands-parents au même âge que nous, ils nous semblent plus vieux, leurs visages et leurs corps sont plus éprouvés par la vie, leurs vêtements sont sombres et sobres.

On sait que nous arrivons aujourd’hui au seuil de la vieillesse, vers 60 ans, en bien meilleure forme, car nos conditions de vie sont bien meilleures elles aussi : système de santé, confort au quotidien, protection par rapport aux tâches pénibles… Nous nous sentons plus jeunes aussi parce que nos corps et nos visages le sont, réellement !

Et peut-être aussi nos esprits : notre époque nous permet de recommencer nos vies en cas de deuil ou de divorce, d’aspirer à la sexualité ou à l’amour, là où autrefois la plupart tiraient dès 50 ans un trait sur leurs aspirations personnelles et s’effaçaient au profit des plus jeunes.

Bon, nous sommes donc des veinard-e-s ! Mais pas la peine non plus d’en rajouter !

Souvenons-nous pour cela de ce qu’écrivait le malicieux Jules Renard : « La vieillesse, c’est quand on commence à dire : ” Jamais je ne me suis senti aussi jeune ” »

 

Illustration : une scène d’enfance (Carnation, Lily, Lily, Rose, par John Singer Sargent. Tate Gallery).

PS : cette chronique a été publiée à l’origine dans Psychologies Magazine en janvier 2024.

Références :

  • Wettstein M et coll. Younger Than Ever? Subjective Age Is Becoming Younger and Remains More Stable in Middle-Age and Older Adults Today. Psychological Science 2023.
  • Pinquart M et coll. Subjective age from childhood to advanced old age : A meta-analysis. Psychology and Aging 2021.