Cauchemars et rêves d’ange

Les cauchemars, c’est l’irruption de l’angoisse dans le cocon douillet du sommeil. En tant que psychiatre, je sais que ça peut gâcher bien plus que nos nuits, nos journées aussi, et nos vies. Je me souviens par exemple d’une patiente qui ne voulait plus dormir, par peur des cauchemars qu’elle faisait chaque nuit. 

Depuis qu’elle avait eu une crise d’angoisse dans son sommeil, une véritable attaque de panique, elle faisait des rêves terribles, durant lesquels elle s’étouffait, se noyait, se faisait étrangler ou enterrer vivante : l’horreur… Alors, elle ne se mettait plus au lit, mais somnolait sur son canapé, sans jamais éteindre ni la télé ni la lumière. 

 

Heureusement pour la plupart d’entre nous, nos cauchemars ne prennent pas cette ampleur. 

Pour ma part, j’ai eu toute une période de ma vie où, je travaillais trop, où je me sentais toujours débordé, submergé, trop sollicité. Et durant cette période, je faisais très souvent des cauchemars d’empêchement : quelque chose ou quelqu’un m’empêchait de faire ce que j’avais à faire ; des gens m’empêchaient de monter dans le train que je devais prendre, des embouteillages m’empêchaient d’avancer sur le périphérique alors que j’avais un rendez-vous urgent, des barrières m’empêchaient de porter secours à mes enfants en difficulté… Ces cauchemars répétitifs d’empêchements, j’en émergeais en gesticulant et en hurlant de colère autant que d’inquiétude : je vous laisse interpréter tout ça comme vous voudrez…

 

Bon, heureusement, tous nos rêves ne sont pas des cauchemars. Il y en a aussi de simplement… étranges. 

Je me souviens d’avoir lu un jour un livre du philosophe Clément Rosset qui racontait comment, lors d’une grave dépression, il avait l’impression irréelle de faire régulièrement les rêves de quelqu’un d’autre.  Et puis, il y a des rêves pleins de charme et de poésie, où l’on croise des anges parés de leurs plumes réglementaires…

 

Des rêves où l’on rencontre des anges, c’est merveilleux et délicieux ! Mais peut-être que pour voir des anges la nuit, il faut les avoir déjà vu passer dans nos journées. Peut-être faut-il apprendre à les deviner derrière chaque petite grâce qui nous émeut, derrière chaque adversité aussi, qu’ils nous envoient comme un message ou une mise en garde. 

 

C’est le poète Christian Bobin qui nous éclaire sur le rôle de ces anges, qui est de nous aider, mais à leur manière : « L’aide véritable ne ressemble jamais à ce que nous imaginons. Ici nous recevons une gifle, là on nous tend une branche de lilas, et c’est toujours le même ange qui distribue ses faveurs. La vie est lumineuse d’être incompréhensible ».

 

Nos rêves aussi sont parfois lumineux d’être incompréhensibles. Alors, on peut se contenter de les savourer, d’en admirer la beauté et le mystère, de se souvenir d’eux, sans chercher forcément à les décrypter en force, là, tout de suite, et attendre simplement qu’ils s’éclairent un jour d’eux-mêmes ; un jour ou jamais, quelle importance ? Du moment que nous avons rêvé, le plus beau n’est-il pas déjà fait ?

Illustration : ça ressemble à un rêve, mais c’est juste l’enregistrement de beaux chants indiens, au débuts du XXème siècle…


PS : cet article est inspiré de 
ma chronique du 22 septembre 2020, dans l’émission Grand Bien Vous Fasse, d’Ali Rebeihi, sur France Inter.