Chagrin d’amour

À la fin de l’été dernier, sur les quais de gare, j’ai vu plusieurs fois de petits
amoureux qui s’embrassaient et se parlaient avant que l’un des deux, habitant
visiblement dans un autre coin de France, ne reprenne le train. Je me demandais
ce que deviendraient ces liaisons de vacances, et combien de chagrins d’amour ils
engendreraient.

Chagrin ? On ne devrait pas parler de « chagrin »
d’amour : c’est un vocable pour ceux qui n’en souffrent pas. Pour les
personnes qui le subissent, ça n’a rien d’un petit chagrin, c’est plutôt une grande
détresse et une tristesse intense, une sorte d‘état dépressif transitoire mais profond.
A la mesure du bonheur vécu : l’amour va tout intensifier dans notre vie,
et la rupture à l’inverse va tout désertifier, plus rien n’aura de sens ni
d’importance. Comme dans le vers célèbre de Lamartine : « Un seul
être vous manque et tout est dépeuplé ».

Et la douleur de la rupture est telle que, parfois, on fait
n’importe quoi, on veut en finir avec la vie ou, au lieu de se remettre à
vivre, on se fige dans l’espoir d’un
retour de l’être aimé

Mais
un autre aspect passionnant de la rupture amoureuse, c’est le point de vue et
l’attitude de celle ou celui qui la provoque, et qui cause le chagrin. Parfois,
c’est une attitude de sagouin, égoïste, brutale. Mais assez souvent, la
personne qui part voudrait ne pas faire de peine, souhaiterait ne pas trop
faire souffrir, et se demande s’il est possible de plaquer quelqu’un
gentiment ?

Ce
n’est pas seulement parce que les larmes ou les reproches de l’ex sont
pénibles, c’est aussi parce qu’on l’a aimé, vraiment aimé. Mais que l’amour ne
suffit pas, comme le savent les thérapeutes de couple. L’amour est une
condition nécessaire mais pas suffisante, comme on dit en maths. Il faut bien
d’autres choses en plus pour qu’un couple dure. Alors, comme la personne qui
part se souvient de cet amour, elle rêverait de ne pas faire trop de mal. 

Mais
c’est mission impossible : même en s’efforçant d’être un
« abandonneur gentil », dans une rupture, on ne peut que faire
souffrir. L’honnêteté et la bienveillance n’empêcheront pas la douleur et la
détresse sur le moment. Mais sans doute permettront-elles un rétablissement
plus rapide. Et surtout éviteront-elles le traumatisme de ces amoureux et
amoureuses mal quittés, qui du coup ne veulent plus jamais aimer personne, et
deviennent comme des grands brûlés de l’amour…

Message
donc à celles et ceux qui partent : quitter l’autre avec honnêteté et
humanité n’empêche pas le chagrin, mais préserve chez son ex la possibilité
d’aimer encore. Ne rompez pas comme des
nuls !

Illustration : “Amour”, par le très viennois Gustav Klimt

PS : ce texte reprend ma chronique du 5 septembre 2017, dans l’émission de mon ami Ali Rebehi, “Grand bien vous fasse“, tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.