La méditation par temps de confinement



Comme beaucoup de psys, je n’ai jamais eu autant de demandes d’interviews sur l’équilibre intérieur et la méditation qu’au printemps 2020, durant le temps du Grand Confinement (c’est comme ça que vous en parlerez, j’espère, à vos petits-enfants !).

Alors, méditer confiné : bonne ou mauvaise idée ?

Au premier coup d’œil, cela peut ressembler à une bonne idée : si la méditation est réputée (à juste titre) être un outil de gestion du stress, et un bon moyen de comprendre le fonctionnement de son esprit, alors, oui, c’est le moment d’apprendre à méditer, ou d’intensifier sa pratique. 

Mais pour certains, cela ressemblerait plutôt à une mauvaise idée : nous sommes déjà, pour beaucoup d’entre nous, confinés dans nos appartements, ou amenés à restreindre nos sorties autres que professionnelles, alors en plus, nous confiner en nous-mêmes… Alors qu’on est enfermé chez soi, doubler la dose en s’enfermant encore plus dans l’immobilité, le silence, les yeux fermés : quelle idée !

Comme vous l’imaginez, de mon point de vue, celui d’un médecin méditant et enseignant de méditation, c’est malgré tout une bonne idée. Vu de l’extérieur, méditer, ça ressemble certes à un sur-confinement en soi-même. Mais de l’intérieur, ça s’apparente plus à un voyage, à une déambulation en soi, et une exploration d’espaces intérieurs méconnus. Le méditant est un peu comme une personne qui aurait enfilé un casque de réalité virtuelle : il vit au-dedans des choses qui échappent forcément au spectateur du dehors.

La méditation comme un voyage intérieur, donc ; pas un voyage touristique et exotique, balisé et prévisible, plutôt une balade dans un coin de nature qu’on connait déjà, mais dont beaucoup de détails nous sont inconnus, dont on redécouvre un aspect à chaque visite, parce que ce n’est pas la même heure du jour, la même saison, parce qu’on n’est pas dans le même état de corps ou d’esprit, parce qu’on n’a pas les mêmes besoins…

Ainsi, ce n’est pas un hasard si les expériences conduites sur la méditation en prison s’avèrent presque toujours concluantes, en termes d’adhésion aux programmes et de bénéfices ressentis : ce n’est pas seulement parce que les prisonniers s’ennuient et sont preneurs de toute forme d’occupation et de distraction. Mais aussi parce pour eux, les vertus de la méditation sont tangibles et salvatrices : apaisement et discernement. 

Apaisement du stress et des émotions douloureuses – angoisses, désespoirs, colères -, apaisement des pensées qui tournent en rond toute la journée… Discernement quant au fonctionnement de son esprit, ses erreurs de jugement et de perspective, les risques qu’il y a à suivre ses impulsions, ses ruminations… Il semble par ailleurs que plus la peine de prison soit longue, plus l’implication des prisonniers et les bénéfices obtenus soient grands. Et que d’autres confinés, volontaires ceux-là, comme les astronautes, en bénéficient également.

Nous qui avons la chance de n’être contraints qu’à un emprisonnement léger et temporaire, nous pouvons aussi bénéficier de la méditation, car le confinement nous prive de beaucoup de ce qui nous aide habituellement à aller bien : les actions et les échanges sociaux, les sorties et les rencontres. 

Vous n’avez jamais médité ? Ce n’est guère un problème. D’abord parce qu’il existe en ce moment d’innombrables initiations disponibles sur Internet. Ensuite, parce que c’est aussi simple que la marche à pied : essayez donc, maintenant… 

Ouvrez votre fenêtre, asseyez-vous sur une chaise, pieds à plat, dos droit, épaules ouvertes, mains sur les cuisses ; il n’y a rien à faire d’autre que respirer, écouter, ressentir. Rien d’autre à faire qu’être là, pleinement conscient de votre souffle, de votre corps, des sons, et de laisser filer les pensées (sans les empêcher d’être là, elles aussi, mais sans leur consacrer toute votre attention). C’est tout. 

On fait ça juste une ou deux minutes au début, plusieurs fois par jour. Puis, si on sent que quelque chose d’intéressant ou d’apaisant se passe, on augmente la dose et on part découvrir des exercices plus élaborés et plus approfondis. Permettre ces moments de lâcher-prise à notre cerveau semble de nature à nous offrir un apaisement émotionnel simple et puissant. Une bonne règle d’hygiène de vie serait d’ailleurs de pratiquer de telles parenthèses après chaque exposition aux écrans et au déferlement des informations négatives et contradictoires inévitablement liées aux temps de pandémie…

En allant plus loin dans la pratique méditative, on élargit les bénéfices non plus seulement à l’apaisement émotionnel, mais aussi à l’exploration du fonctionnement de notre esprit, et au discernement ; là encore, de nombreuses études confirment que la méditation aide par exemple à y voir plus clair dans ce qui importe pour nous, et à donner plus de sens à notre vie.

Plus largement, la méditation pose la question de notre vie intérieure : souvent, nous avons bien peu de temps à lui consacrer, tant nous sommes pris dans le flot des actions et des distractions. La méditation est une occasion de nous fréquenter un peu, en face à face, et sans masque. Dans méditation, on ne se ment pas, si on joue le jeu : on ne peut rien écarter des tensions de nos corps, des résurgences de nos pensées. 

Ce n’est pas facile de regarder tout ça en face. Mais qui a dit que c’était facile, l’équilibre intérieur ? Comme le rappelle un maître tibétain : « Au final, la méditation revient à choisir entre l’inconfort de prendre conscience de nos souffrances mentales et l’inconfort d’être gouverné par elles. » Le premier inconfort est choisi, et diminuera peu à peu. Le second est subi, et tendra à persister. Que choisirez-vous ?

Et puis, méditer est une occasion de prendre conscience de ce qui faisait que notre vie d’avant était belle : conscience de ce que nous avons perdu dans le confinement (liberté de mouvements, de liens, d’activités), conscience de ce dont nous nous sommes passés sans difficultés, conscience de ce qui nous a vraiment manqué. Pour mieux nous préparer à vivre, dans l’après, de manière plus ajustée à nos idéaux.

Un guerrier lettré et mondain du XVIIIème siècle, le Prince de Ligne notait : « On peint mieux la liberté quand on est enfermé, et le printemps en hiver. » Et, peut-être, finalement, comprend-on mieux ce qui fait vraiment notre bonheur, par temps de confinement ?

PS : cet article a été publié sur le site de la revueCerveau & Psycho le 30 avril 2020.