Le rameur d’Ellis


Nous nous servons parfois de récits et de métaphores en psychothérapie. Voici l’une d’entre elles, que m’a apprise un collègue et copain, Bruno Koeltz (auteur d’un très bon livre sur la procrastination). Il en attribue la paternité à Albert Ellis, un des pères de la thérapie cognitive.
C’est un rameur, pas très expérimenté, qui descend une rivière dans un canot. Il sait qu’au bout, tout au bout, il y a des rapides, et que ce passage sera dangereux. Il a le temps, mais il sait que ça viendra.
Certains rameurs vont alors commencer à se faire du souci : « est-ce que je vais y arriver ? » et durant toute l’approche des rapides, être plus présents à leurs inquiétudes qu’à leur façon de ramer. D’autres vont se centrer sur le présent : « en attendant les rapides, je vais déjà apprendre à mieux ramer ! »
Les uns et les autres arriveront aux rapides sans doute plus expérimentés qu’au début de leur voyage : nous anticipons les dangers à venir en fonction de ce que nous sommes maintenant, mais souvent la « marche d’approche » comme on dit en langage montagnard, nous a tellement changés que nos anticipations sont alors devenues invalides.
Mais on peut évidemment imaginer que les rameurs centrés aussi sur le présent et non seulement sur le futur (comme nous le sommes lorsque nous sommes inquiets) auront davantage changé. Et davantage appris durant leur approche. La vie ne nous aide à changer que si nous l’habitons pleinement, et non si nous la désertons (par l’anticipation ou la rumination).
Je sais, c’est plus facile à dire qu’à pratiquer. Mais le dire et y penser, puis l’essayer dans la vraie vie, face à des tout petits rapides, c’est une bonne première étape, non ?

Illustration : barque sur le canal du Midi, par Frédéric Richet.