L’intouchable
À Sainte-Anne, avec un nouveau patient.
Il me raconte son histoire, triste, triste : une histoire d’enfant émotif, fragile, sans défenses, qui avait l’habitude d’être rejeté par les autres enfants (au mieux) ou de leur servir de tête de turc, de bouc émissaire (au pire). Du coup, aujourd’hui, il a du mal dans ses rapports avec les autres, du mal à accorder sa confiance, à imaginer qu’on puisse être bienveillant avec lui, comme ça, sans arrière-pensées.
Il me raconte encore – visiblement ça lui fait du bien – ces souvenirs d’école où ce qui lui faisait peur, ça n’était pas les moments de cours, ou de passer au tableau, mais les récréations : là, c’est la loi de la jungle qui règne, les forts peuvent martyriser les faibles, par petits bouts, chaque jour. « Pourtant, me dit-il, parfois des forts me prenaient sous leur protection, des chefs de bande décidaient de me protéger ; je ne comprenais jamais bien pourquoi, mais alors c’était la paix assurée, l’immunité, ça changeait tout pour moi, je me sentais en sécurité. Je devenais un intouchable : pas d’amitié mais pas de violences non plus. »
Je ne sais pas pourquoi, tout à coup, je me sens très ému en l’écoutant me raconter ce détail. Il continue son récit, mais pendant quelques secondes, j’ai du mal à l’écouter, je reste « coincé » dans ce qu’il vient d’évoquer : au milieu de toute cette violence dont il a souffert, le fait de savoir que parfois, des « forts » ont décidé de l’en soulager m’émeut et me réconforte.
L’humain, capable du pire et du meilleur, souvent sans raisons claires, sans bien savoir pourquoi…