Petit avec de grandes oreilles

Trop grand, trop petit, trop ceci, trop cela… ; mais aussi le nez, les oreilles, les seins, les muscles, la peau, les cheveux, les poils, les dents… ; sans oublier l’intelligence, la culture, l’humour, la beauté, la popularité… Les raisons de complexer ne manquent pas !

Un complexe, c’est la focalisation de notre esprit sur un défaut ; que ce défaut soit réel ou supposé, ça n’a aucune importance. Ce qui est important, c’est que cette focalisation est suivie d’une amplification de ses conséquences : on attribue au défaut la responsabilité de nombre de nos problèmes existentiels, de nos échecs, de nos difficultés. Si on ne trouve pas l’amour, si on n’a pas assez d’amis, si on végète dans son travail, c’est à cause de ce satané défaut. Être petit avec de grandes oreilles, par exemple…

Pourtant, il suffit d’ouvrir les yeux pour voir qu’on peut être heureux, même si on est petit avec de grandes oreilles. Et qu’il y a aussi de grands avec de petites oreilles qui sont capables, malgré leur chance inouïe, d’être très malheureux !

Car, le plus souvent, le problème ce n’est pas le défaut mais notre réaction au défaut : on se persuade que tout le monde le voit, le scrute et nous juge ; mal, évidemment.

Que faire ? Défocaliser : se rappeler qu’une bonne estime de soi, c’est comme une bonne alimentation, elle doit être nourrie de sources variées. Si défaut il y a, il ne doit pas nous faire oublier toutes nos autres qualités, sur lesquelles nous devons ouvrir les yeux. Défocaliser, c’est aussi observer les autres personnes : sont-elles toutes parfaites, douées, brillantes et belles ? N’ont-elles aucun défaut, vraiment ? Bien sûr que non ! Et pourtant, elles vivent !

Défocaliser donc, de désenfermer de soi-même. Et puis, agir comme si le défaut n’existait pas. Et observer le résultat.

C’est comme ça que marche la chirurgie esthétique, lorsqu’elle marche : quand on en vient à se faire opérer d’un défaut physique, et qu’on se sent mieux après, c’est parce qu’on cesse du coup d’être obsédé et focalisé, et que dans les échanges sociaux, on n’est plus tourné vers soi et ses défauts mais vers les autres, on n’est plus dans l’observation mais dans l’interaction.

Mais on peut aussi faire l’économie de la chirurgie en suivant une thérapie comportementale, qui nous apprendra, au travers d’exercices concrets, à agir malgré le défaut, malgré le sentiment de gêne, malgré l’impression de honte. Et à observer que notre défaut 1) la plupart des gens ne le remarquent pas, 2) la plupart de ceux qui le remarquent s’en fichent et ne nous jugent pas inférieurs pour autant.

Donc : défocaliser, socialiser, en parler à ses proches (qui vous parleront aussi de leurs complexes et de leur manière de les tenir à distance) et surtout, surtout, ne pas fréquenter les réseaux sociaux ! Parce que ce sont des usines à complexes : tout le monde passe son temps à y balancer des images parfaites des moments où on a bonne mine, dans de beaux endroits, entouré par plein de gens qui nous aiment. Et comme le complexe se nourrit de la comparaison avec autrui, de l’interrogation « je suis mieux ou moins bien ? », vous imaginez la catastrophe. Ce n’est pas sur les réseaux sociaux, nids à mensonges, qu’il faut aller chercher la vérité vraie de notre popularité…

« Moins je pense à moi et mieux ça va » me disait un jour une de mes patientes. Il est là le secret : ne plus se soucier de l’effet que l’on fait. Et s’occuper de vivre, tout simplement.

Et au fait, et vous, encore quelques petits complexes, ou vous leur avez définitivement tordu le cou ?



Illustration : On arrête d’urgence de complexer ! Parce que la vie est compliquée, inutile d’en rajouter ; et aussi parce qu’elle est belle, mieux vaut en profiter.(photo prise dans une salle des machines au Pic du Midi)


PS : ce texte reprend ma chronique du 9 octobre 2018, dans l’émission de mon ami Ali Rebehi, “Grand bien vous fasse“, tous les jours de 10h à 11h sur France Inter. Également disponible en vidéo.