Un peu à l’image de notre vie…

Grande discussion lors d’un repas chez des amis. Un couple est en train de raconter avec humour une galère survenue lors de leurs dernières vacances, liée à leur façon de vivre, improvisée et désorganisée : partis sans vérifier leur jauge d’essence, ils se sont retrouvés en panne sur l’autoroute embouteillée, voiture pleine de bagages et d’enfants. Rien de méchant, mais le genre d’aventure dont on ne sourit qu’une fois qu’elles sont terminées.

Tout le monde renchérit sur l’anecdote, et tout à coup, je sens se lever dans mon cerveau de psy l’envie de lancer : « Est-ce que ça n’est pas un peu à l’image de toute votre vie, finalement, cette histoire ? » Ce que je fais.

À leur tête perplexe et tout à coup concernée, je vois que j’ai fait mouche. Ils réfléchissent, se regardent, commencent à dire « Peut-être, oui, c’est vrai que nous vivons toujours dans le désordre et l’absence d’anticipation » et ils s’embarquent dans un début – très intéressant – d’auto-analyse de leur style de vie. Jusqu’à ce que je leur avoue que j’ai lancé ma remarque juste pour rire. Mais j’ai beau tenter de banaliser mon intervention, je sens bien qu’elle a tout de même activé chez eux une remise en question.

Après la soirée, je suis frappé par la manière dont ce genre de phrase passe-partout peut paraître juste et personnalisée. Je décide alors de la tester à nouveau.

Quelques jours plus tard, l’occasion m’en est donnée, lors d’une soirée où une amie nous raconte un rêve récent, dans lequel elle tentait de parler à tout un tas de gens qu’elle rencontrait, mais personne ne l’écoutait. J’attends un instant de silence et je lance : « Est-ce que ça n’est pas un peu à l’image de toute ta vie, finalement, ce rêve ? » Et là encore, ça marche au-delà de toute espérance ! Je la vois froncer le sourcil et commencer à réfléchir…

Jusqu’à ce que j’avoue à nouveau mon subterfuge : elle éclate alors de rire, et toute la tablée avec elle. Puis nous nous amusons à décliner le concept, en l’appliquant à toutes sortes de situations, pour réaliser qu’il s’agit vraiment d’une phrase tout terrain, qui peut être énoncée dès qu’une personne raconte une tranche de vie qui l’a marquée.

La discussion se porte vers d’autres sujets, mais je continue de réfléchir à ce qui s’est passé. Version triste : c’est si simple (surtout quand on est psy) de tromper son monde, et de faire croire à du sur-mesure quand on ne fait que délivrer des banalités. Version gaie : nous partageons tous les mêmes doutes et inquiétudes (ne pas être aimés, faire des erreurs, échouer, etc.) et nous sommes tous prêts à en discuter avec des amis. Version psy : même une banalité peut engendrer une réflexion intelligente.

Quels chouettes cerveaux que les nôtres !

PS : cet article a été publié dans Psychologies Magazine en novembre 2014.

Illustration : À l’école d’infirmières, par Jean Dieuzaide.