Vu et vécu dans la rue (et ailleurs)

Marcher en ouvrant ses yeux et ses oreilles est en général passionnant.

Voici quelques bribes vues et entendues ces derniers temps…

Tout le monde peste après ce printemps 2013, étiqueté « pourri ». Ce déluge de pluie et de fraîcheur rend les sous-bois magnifiques : je me suis plusieurs fois promené en forêt durant ce mois de mai, et malgré l’absence de soleil, j’ai été à chaque fois bouleversé par ce que j’ai vu et reniflé. Impression de déambuler dans une cathédrale de verdure, de marcher entre des flots de buissons, de contempler l’armée des herbes montant à l’assaut. Jamais la nature ne m’a semblée aussi heureuse.

Un matin dans la rue, une maman un peu pressée emmène ses enfants, un bébé dans une poussette, et un petit garçon de 4 ou 5 ans, vers crèche et maternelle. Je marche derrière eux, et leur dialogue m’arrive aux oreilles (je ralentis aussitôt pour en savourer un morceau) :

Maman : On ne dit pas coubelle mais poubelle !

Petit garçon : Coubelle ???

Maman : Non, ppppou-belle ! POUbelle ! Avec un P comme Papa !

Petit garçon (très étonné) : Comme Papa ?!?

Maman (qui n’a pas vu le problème) : Oui, PPPoubelle, comme PPPapa. Avec un P.

Petit garçon : Ah non, pas coubelle Papa ! Pas coubelle !

La suite m’échappe, je n’ose pas trop insister dans ma filature indiscrète. Mais je comprends l’indignation de ce petit garçon : comparer son papa à une poubelle, tout de même ! (ou vouloir le mettre dedans, encore pire…).

Un autre jour, toujours dans la rue, un monsieur très pauvrement vêtu, presque comme un SDF, lit attentivement les annonces d’une vitrine d’agence immobilière.

Compassion et tristesse montent en moi : que peut-il penser et éprouver à cet instant, lui qui semble ne jamais pouvoir acheter ou louer quoi que ce soit dans ce magasin ?

Mais aussitôt d’autres scénarios m’arrivent : peut-être est-il très riche, bien plus que vous et moi, et ne s’habille comme ça que parce que c’est un original ? Peut-être qu’il veut vendre un des ses nombreux biens immobiliers ? Ou qu’il regarde juste les prix pour en louer un ?

Ou peut-être n’est-il pas riche du tout, mais qu’il s’en fiche, et qu’il ne ressent à cet instant ni détresse ni envie. Juste de la curiosité : « combien les gens sont-ils prêts à payer pour posséder un appartement ou une maison ? combien de leur liberté sont-ils prêts à céder pour s’endetter sur des années ? je n’aimerais pas être à leur place ! »

C’est peut-être ça qu’il est en train de se dire… Peut-être que je ne devrais pas ressentir de la compassion mais de l’admiration pour lui. Je continue mes cogitations, et arrivé tout au bout de la rue, je me retourne : il est toujours devant la vitrine, très intéressé. Je le quitte à contrecœur, en le laissant à son mystère…

Et vous, qu’avez-vous vu de beau ces temps-ci ? Du moins sur la Terre, puisqu’au ciel, récemment, ce n’était pas souvent la joie…

Illustration : la mention “Jetez votre chien” sur un distributeur de sacs à crottes. Cette dernière petite chose “vue dans la rue”, m’a fait éclater de rire (désolé pour les amis des chiens, mais je suppose que celui ou celle qui a écrit ça en avait marre de marcher dans les cacas canins des trottoirs…).