Allonger la foulée


L’autre jour, je me promenais dans les bois, lorsqu’à un embranchement, je me retrouve à emprunter le même chemin qu’une élégante dame qui trottinait très lentement, mais avec grâce.
Tout son corps faisait le mouvement de la course, mais ses pieds accomplissaient celui de la marche : l’un d’entre eux était toujours en contact avec le sol (alors que lorsque nous courrons, il y a entre deux foulées, un moment où nous sommes suspendus en l’air). C’était étrange mais élégant, et j’observais avec attention cette allure délicate et atypique.
Seul problème : la dame n’allait pas très vite. Du coup, simplement en marchant, j’arrivais à la suivre. Au bout de 100 mètres, elle se retourne brièvement et s’aperçoit de ma présence admirative. Alors, elle se met doucement à accélérer et à vraiment courir. Et elle disparaît au bout du chemin.
J’ai supposé que ce n’était pas par peur de moi (je l’espère en tout cas) mais simplement parce que c’était vexant pour elle, dans son beau survêtement de sport, avec ses chaussures à coussin d’air, de se voir suivie par un nigaud en godillots. En accélérant, elle a cessé de faire de l’exercice physique tranquille (juste le plaisir de bouger harmonieusement son corps) pour passer dans le registre du sport (le dépassement de soi ou des autres). Et elle m’a privé de sa présence. Tant pis, j’ai recommencé à regarder les arbres et le chemin.

Ilustration : le célèbre film, d’Eadweard Muybridge, en 1876.