Âmes sensibles


Toujours lors du Salon du Livre de Poche de samedi dernier. Outre les rencontres avec lecteurs et libraires, un des petits plaisirs à y participer, c’est qu’on y croise souvent d’autres auteurs. J’y ai notamment retrouvé mon copain Gilles Leroy, romancier subtil, prix Goncourt 2007 pour son magnifique Alabama Song.
Il était tout ému, car le train qui l’amenait de chez lui avait été bloqué à cause d’un suicide sur les rails : « Tu te rends compte, la plupart des gens pensaient à leur retard et leurs ennuis à cause de ce même retard. Alors que quelqu’un venait de se donner la mort… »
Cette année, où j’ai beaucoup voyagé, cela m’est arrivé à deux reprises d’être dans un train bloqué par un suicide. Et à chaque fois j’ai eu le même réflexe : d’abord le « zut, je vais être en retard ! » ; puis la honte, dans la seconde : « tu plaisantes ou quoi ? ton petit retard minable par rapport à une histoire de désespoir absolu ? ».
Nous parlons un peu avec Gilles de ces mouvements de nos états d’âme et de nos consciences, lorsque la détresse des autres déboule dans nos petites vies bien réglées. Le lendemain, il m’envoie un mail, avec comme il dit « des questions de romancier » : après notre discussion, il a repensé à la manière dont les passagers de l’Airbus d’Air France récemment écrasé dans l’Atlantique ont du vivre leurs derniers instants. Il est frappé que tous les journalistes parlent des conditions techniques de l’accident, et pas de la conscience éventuelle que ces humains ont pu avoir des ultimes minutes de leur vie, ce qui le bouleverse.
Pour moi, ce ne sont pas que des « questions de romancier ». Mais les romanciers, grands sensibles, se les posent avec plus de constance et de violence que les autres. Parce que la compassion les habite, et avec elle la sensibilité et la curiosité pour toutes les expériences humaines. Même effroyables, même extrêmes, même ultimes…