Balzac et le recueillement
Je ne sais pas si ça vient de mon métier de psychiatre, mais j’aime bien visiter les maisons des personnes que je connais : voir où elles dorment, se reposent, cuisinent ; quels livres elles lisent, quels objets elles aiment, etc.
Et, plus que tout, j’aime visiter les maisons des écrivains. Voir sur quel genre de bureau ils travaillaient découvrir la fenêtre par laquelle ils cherchaient l’inspiration quand elle ne venait pas, m’immerger dans les détails de leur quotidien, leurs goûts et leurs habitudes. Tout ça me les rend plus proches, plus touchants.
Ainsi, j’ai récemment visité la maison de Balzac. Une de ses maisons en tout cas, car il a beaucoup déménagé, le pauvre Honoré, poursuivi toute sa vie par des huissiers, à cause de ses dettes galopantes. Cette petite maison, dans laquelle il a vécu de 1840 à 1847, se trouve dans un quartier de Paris nommé Passy, qui était encore un bout de campagne du vivant de Balzac. Comme dans toutes ses demeures, il y avait une porte dérobée pour fuir les créanciers qui venaient bien souvent sonner à sa porte.
Honoré, du coup, écrivait la nuit, pour avoir la paix, en s’abreuvant de café, et en s’immergeant dans ses romans pour fuir sa vie réelle ou écrire sa vie rêvée…
J’espère qu’il était content, Balzac, lorsqu’il écrivait. Je me souviens, dans son petit bureau, tout seul, tranquille, avoir pris un moment pour me laisser embarquer par l’esprit des lieux, observant sa célèbre cafetière, déchiffrant les feuilles de ses manuscrits, 1000 fois corrigées. Me sentant profondément touché par cet homme qui avait vécu là, voilà près de deux siècles. Me recueillant sur ce qu’il avait dû ressentir, les joies qu’il avait éprouvées, les peines qu’il avait traversées.
Ce n’est pas facile, le recueillement : ça suppose de cesser d’agir, de ralentir le cours de nos pensées et de nos émotions, et d’approfondir notre expérience de l’instant ; pas facile, à une époque où tout nous pousse à accélérer, où tout nous incite à nous superficialiser.
Nous avons souvent du mal à amener notre esprit vers le recueillement. Par exemple, lors des visites au cimetière : que faisons-nous lorsque nous nous recueillons sur une tombe ? S’agit-il de juste laisser venir les souvenirs ? De songer aux beaux moments partagés avec la personne disparue ? De la remercier ? De l’engueuler peut-être ? De prier pour elle ?
Lors de mon recueillement dans le bureau de Balzac, j’observe ce qui se passe en moi. Je ressens une sympathie immense pour ce frère humain, pour ce petit bonhomme rondouillard, peu gâté par la nature en ce qui concerne son physique, mais doté d’une énergie et d’un génie littéraire immenses.
Je suis touché par sa psychologie étonnante, son optimisme maladif, sa naïveté parfois confondante, sa mauvaise foi, son goût du luxe, des fringues, de l’ostentation. Je ressens de la compassion, aussi, pour tous ses moments de détresse, de souffrance, de découragement : lui qui rêvait d’être riche et célèbre, n’est arrivé à obtenir « que » la célébrité ; la richesse, elle lui a toujours filé entre les doigts, malgré les droits d’auteur qui affluaient, mais qui étaient aussitôt dépensés et surdépensés…
Dans sa petite maison, je pense à cette phrase de Rousseau, dans sa 10ème Promenade : « J’ai besoin de me recueillir pour aimer. » Et à cet instant, j’aime Balzac ; j’admire toujours un Hercule des Lettres, mais j’aime un petit bonhomme talentueux et affectueux.
Ève Hanska, une des femmes de sa vie, qu’il réussit à épouser peu avant sa mort, à 51 ans, écrivait de lui : « Je le connais depuis 17 ans, et tous les jours je m’aperçois qu’il a une qualité nouvelle que je ne lui connaissais pas. »
N’est-ce pas le plus beau des compliments ? Que quelqu’un puisse ainsi dire de nous : plus on te connaît et plus on t’aime ?
Illustration : le bureau de Balzac.
PS : cet article est inspiré de ma chronique du 28 janvier 2020, dans l’émission Grand Bien Vous Fasse, d’Ali Rebeihi, sur France Inter.