Cerveau, dors, je le veux !

 

 

« Punaise, déjà minuit 20 ! Et je ne dors pas encore… Je suis crevé, pourtant ; enfin, j’étais crevé… avant de me mettre au lit. En plus j’ai une grosse journée demain, je veux dormir, mais mon cerveau n’arrête pas de produire des pensées. Impossible de l’arrêter, il tourne tout seul.

Parfois ça part dans tous les sens, un défilé de pensées et d’images sans queue ni tête. Plus souvent, ce sont des idées fixes, des ruminations, en général négatives (des soucis, des ennuis) et quelquefois positives (des projets qui m’excitent mais qui, en attendant, tournent en rond dans ma tête).

Parfois même c’est un air de musique lancinant, ce qu’on appelle un « ver d’oreille » qui creuse ses galeries dans ma cervelle.

Allez, levez le doigt, les personnes qui n’ont jamais vécu tout ça !

Pourquoi notre cerveau nous joue-t-il ce genre de tour, nous submerge de cogitations, juste au moment de s’endormir ? C’est simple : parce que le corps est immobile, privé de mouvement ; et parce que l’esprit est inoccupé, sans actions ni distractions pour nous détourner du bavardage mental. Eh oui, dans la journée nous bougeons et agissons, et ce sont les deux grands remède anti-ruminations.

Mais quand nous ne pouvons ni bouger ni agir, comme quand on veut se détendre ou dormir, il faut avoir d’autres solutions pour les jours où notre cerveau est agité.

Parmi ces autres solutions, il y a bien sûr la méditation, qui nous apprend à apaiser notre esprit, à observer tranquillement, de loin, le mouvement de nos pensées, sans l’alimenter.

Il y a aussi de nouvelles techniques psychothérapiques, dans lesquelles on apprend à écarter doucement nos bavardages mentaux. On a longtemps cru que vouloir chasser nos pensées non seulement ça ne marchait pas, mais que cela entraînait un effet rebond. Mais non, ça fonctionne, à condition de s’y entraîner régulièrement.

Et puis, on n’y pense pas assez souvent, mais un grand facteur aggravant de notre incapacité à laisser notre cerveau se reposer, ce sont les écrans et leurs contenus, que nous lui faisons avaler toute la journée.

Dès qu’un temps de pause survient, on se jette dans les écrans au lieu de laisser notre cerveau se détendre, flâner, renifler la vie, et surtout ne rien faire. Eh oui, un cerveau c’est comme un enfant : si vous le surstimulez dans la journée, le soir, il ne sera pas fatigué mais excité et pénible.

Bon pour être tout à fait honnête, je dois vous dire que les cogitations, les ruminations, les obsessions n’ont pas attendu l’ère des écrans pour exister.

Voici par exemple ce qu’écrivait Paul Valéry dans les premières lignes de son petit récit L’Idée fixe :

« J’étais en proie à de grands tourments ; quelques pensées très actives et très aiguës me gâtaient tout le reste de l’esprit et du monde. Rien ne pouvait me distraire de mon mal que je n’y revinsse plus éperdument. Il s’y ajoutait l’amertume et l’humiliation de me sentir vaincu par des choses mentales, c’est-à-dire, faites pour l’oubli. »

C’était en 1934, et effectivement, pas d’écran à l’époque. Mais disons que ce qui était alors peu fréquent, au point d’en rédiger un livre, est devenu aujourd’hui banal.

D’ailleurs comment le héros de Valéry va-t-il se sortir de ses idées fixes ? Eh bien, les réponses courent tout au long du livre.

Alors à la prochaine insomnie, lisez Valéry ! Ce sera toujours mieux que de fuir vos cogitations dans les écrans…

 

Illustration : il y en a des choses dans notre cerveau…

PS : cet article reprend ma chronique du 26 mars 2024, que vous pouvez écouter ici ;c’était dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.