Admirer les humains

 

 Il existe beaucoup de manières de mal regarder le monde qui nous entoure. Parmi celles-ci, deux visions négatives m’ont toujours beaucoup intéressé : celle des anxieux, qui ne voient du monde que ses dangers ; et celle des grincheux, qui ne voient des humains que leurs défauts.

Les anxieux et les grincheux ne délirent pas : il existe bien des dangers dans le monde, et des défauts chez les humains. Mais ils passent à côté de tout le reste : les anxieux ne voient pas tout ce qui est rassurant et encourageant ; et les grincheux ne voient pas ce qui est formidable chez leurs semblables.

Je me souviens d’une de mes patientes qui cochait les deux cases : anxieuse et grincheuse. Sympathique par ailleurs, mais pas facile à aider. Alors, à un moment de notre thérapie, je lui dis que nous allons arrêter de lutter contre ses pensées négatives et ses agacements ; et que pendant un moment, nous n’allons travailler qu’à admirer.

Elle ne savait pas admirer, alors nous sommes partis de loin.

D’abord, en apprenant à admirer la nature. Elle pensait qu’elle le faisait déjà. Mais non, attention ! Admirer ce n’est pas se contenter de dire « c’est beau », et revenir à ses pensées sombres. Pour que l’admiration soit une vraie émotion, agréable, épanouissante, transformatrice, il s’agit de la faire vivre dans notre corps : prendre le temps de s’arrêter, de respirer, de laisser monter le bonheur d’être là, à cet instant, se réjouir physiquement de ce que nous voyons de beau et de grand…

Puis nous sommes passés à l’admiration pour les humains : pas pour les personnes, c’était trop difficile pour elle, elle était trop experte à détecter les défauts ; et tous les humains en ont, des défauts, même les saints et les héros. Non, nous avons travaillé à seulement admirer tous les petits comportements croisés au quotidien : moments de bonté, d’élégance, de gentillesse, d’énergie, d’humour, d’altruisme… En se contentant d’admirer ce que faisait la personne juste à cet instant…

Eh bien, figurez-vous – vertus de la psychologie positive – que ce détour par l’admiration a bien marché, globalement. Un peu surprise au début, ma patiente a compris que ça lui rendrait la vie plus belle, et elle a vu que ça limitait un peu (toujours ça de pris) ses inquiétudes et ses agacements. De mon côté, ça m’a permis de mieux comprendre l’admiration et ses conséquences…

Comment définir l’admiration ? C’est l’émotion qui consiste à se réjouir de ce qui nous dépasse. Elle nécessite plusieurs étapes : d’abord remarquer ce qui est admirable, au lieu de penser à autre chose ou de se focaliser sur les petites imperfections de la situation ; puis, nous en avons parlé, laisser naître l’émotion en soi, dans son corps, et ne pas la laisser à l’état de simple pensée ; juste se dire « c’est admirable », ce n’est pas une émotion chaleureuse comme doit l’être l’admiration, c’est un constat froid.

Or la véritable admiration comporte tant de bienfaits qu’il serait dommage de s’en passer : elle est agréable, bonne pour la santé, bénéfique pour l’esprit, à qui elle apprend l’humilité joyeuse, celle qui ne regarde pas le bout de ses chaussures, mais se réjouit d’avoir de belles choses au-dessus de la tête ; et ce n’est pas fini : l’admiration est source d’inspiration, nous rapproche des autres humains, nous donne un sentiment de connexion au monde qui nous entoure.

Et puis, l’admiration est un sentiment inoxydable, qui ne s’épuise jamais, s’il choisit les bons objets. C’est le moraliste Joseph Joubert qui l’a le mieux décrit : « Ce qui étonne, étonne une fois, mais ce qui est admirable est de plus en plus admiré ».

Alors, cette semaine, si nous faisions de petits exercices d’admiration ? Même les anxieux, même les grincheux ! Surtout eux…

 

Illustration : un admirable cow-boy.

PS : cet article reprend ma chronique du 11 juin 2024, que vous pouvez écouter ici, c’était dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.