C’est bien moi que tu préfères ?
Quand mes trois filles étaient petites, elles adoraient me
mettre dans le pétrin avec des histoires d’amour paternel.
Ainsi, un de leurs jeux préférés à ce propos consistait, lorsque toute la
famille était réunie à table, à me demander l’une après l’autre :
« Papa, c’est bien vrai que c’est moi ta préférée, n’est-ce
pas ? » Évidemment, cela n’avait de saveur que si les deux autres sœurs
étaient là !
Au début, j’essayais de répondre de manière impartiale, des
trucs du genre : « Je vous aime autant l’une que l’autre… » Mais
évidemment, elles ne me lâchaient pas : « Ce n’est pas possible, on
n’est pas pareilles, alors tu ne peux pas nous aimer pareil ! » Du
coup, j’essayais de dire : « Euh, oui, je vous aime autant mais
chacune différemment. » C’était le bide.
Alors au bout d’un moment, j’ai compris qu’il n’était pas
possible de répondre correctement à ce genre de question, et j’ai blagué moi aussi. J’ai décidé de
rétorquer : « Oui, bien sûr, c’est toi ma préférée, ma chérie, de
loin ! » devant les sœurs indignées, qui se mettaient alors à me
poser elles aussi la même question : « Comment, ce n’est pas moi ta
préférée ? » et à qui je répondais aussitôt : « Si, si, en
vrai de vrai, c’est toi ma préférée, évidemment ! »
Tout le monde rigolait,
et le message était passé : en tant que père, j’aimais tout le monde et surtout,
je préférais tout le monde.
C’est Gide qui écrivait : « Je ne veux pas
être aimé, je veux être préféré ». Eh oui, l’être humain marche souvent
comme ça. Nous voulons tous être préférés ; au moins par certaines personnes, au moins à certains moments…
Illustration : Une fillette pas sûre d’être la préférée… (Marie Bashkirtseff, Le parapluie, 1883, Musée de Saint-Pétersbourg).