C’est qui le chef ?

 

Connaissez-vous la Phylogenèse ?

Rien à voir avec un sujet de philosophie du bac. Le mot Phylogenèse vient du grec Phylon (famille, tribu) et Genesis (création). Elle étudie comment dans l’évolution du vivant, certains caractères persistent d’une espèce à l’autre. De nos lointains ancêtres animaux nous est ainsi resté un vestige de queue, c’est le coccyx ; nos poils sont l’héritage rikiki de la fourrure abondante qui protégeait jadis des grands froids nos ascendants hominidés. Etc.

Il semble que cela soit la même chose dans notre cerveau : au fur et à mesure de l’évolution, le cerveau de notre espèce s’est développé, mais plutôt en s’enrichissant et se complexifiant, qu’en effaçant ce qui pré-existait. D’où la théorie d’un neurobiologiste, Paul Mac Lean, qui postula dans les années 1960, que le cerveau humain était construit comme un empilage de trois cerveaux distincts :

  • un cerveau archaïque dit reptilien, en charge des fonctions de base  (manger, boire, dormir, se reproduire…),
  • un cerveau dit mammalien (propre aux mammifères) en charge notamment de certains aspects de la vie émotionnelle et relationnelle,
  • et un cerveau plus propre aux primates et surtout aux humains, dit néo-cortex, nous permettant imagination, anticipation, planification, etc.

Et c’est à cette théorie que toutes les réflexions sur notre cerveau reptilien, ou crocodilien, font référence…

Mais cette théorie des Trois Cerveaux, ou du Cerveau Triunique, a vite été contestée, pour sa trop grande simplicité.

Le néocortex disant aux deux autres cerveaux : « Eh, les gars, on n’est plus des bêtes, maintenant ! Désormais, il va falloir m’écouter et m’obéir, devenir raisonnables ! Fini de se bagarrer et de se goinfrer pour un oui ou pour un non. », eh bien ce modèle n’est plus satisfaisant aujourd’hui.

La vision actuelle, proposée par les neurosciences (et que nous réfuterons peut-être un jour), est qu’il existe bien différentes strates dans notre encéphale, certaines plus anciennes que d’autres, mais toutes intriquées par des liens très étroits, et que, même lorsqu’il s’agit de pulsions ou d’émotions, c’est l’ensemble du cerveau qui est impliqué, et pas seulement un des trois étages imaginés par Mac Lean.

Le vieux modèle cérébral hiérarchique (la raison dominant les émotions et les pulsions) a donc laissé place à un modèle collaboratif : il y a toujours un patron dans le néo-cortex, la partie la plus récente de notre cerveau, et ce patron c’est le cortex préfrontal, mais son autorité est obligée d’être souple et à l’écoute de ses supposés subordonnés.

« La conscience règne mais ne gouverne pas » écrivait ainsi Paul Valéry. Avant d’être régulées, nos émotions et nos pulsions doivent donc être écoutées, observées, respectes, comprises, .

Et c’est le même Valéry qui disait aussi : « Ce qui est simple est faux ; ce qui est compliqué est inutilisable ». Le cerveau reptilien est ainsi une idée devenue scientifiquement fausse, mais qui reste pédagogiquement vraie.

 

Illustration : une sévère explication entre cortex préfrontal et cerveau reptilien (Lorenzo Castro, La Bataille d’Actium ; tableau réalisé en 1672, la bataille c’était en 31 avant JC).

PS : cet article reprend ma chronique du 1er juin 2021 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.