L’art de la conversation

 

L’autre jour, devant une école au moment de la sortie des classes, une vingtaine de jeunes parents attendent leurs enfants. Ça me rappelle quand je faisais ça moi aussi, il y a… quelques années ! Mais un détail me frappe : ils ne se parlent pas, tous penchés sur leur portable. Perplexité et tristesse.

Ah, ces écrans ! Invention formidable et redoutable, car le problème n’est pas l’écran, mais notre dépendance à l’écran et à ses contenus ; et notre aveuglement face à cette dépendance. Les travaux se multiplient, montrant que la consommation excessive d’écrans nuit à notre cerveau, mais aussi à nos liens sociaux. Le temps d’attention au monde digital est en général du temps volé : soit au sommeil (le soir), soit aux relations sociales (dans la journée).

Car le lien social, en effet, c’est du temps d’attention ! Temps d’attention mutuelle : on se prête attention les uns aux autres. Ou temps d’attention partagée : on est attentifs ensemble à la même chose ; en matière d’écran, c’était autrefois la télé, que l’on regardait en famille, ce qui permettait échanges, engueulades (sur le choix du programme) et culture commune.

Les études sont claires et unanimes : autant le temps d’écran est corrélé au mal-être émotionnel, autant le temps social augmente notre bien-être. Alors, si nous revenions un peu à l’art de la conversation ? Montaigne dans ses Essais (II,8) nous y encourage : « Le plus fructueux et naturel exercice de notre esprit, c’est à mon gré la conversation. J’en trouve l’usage plus doux que d’aucune autre action. »

Comment la définir ? La conversation, c’est un échange avec un ou plusieurs de nos semblables, sans objectif précis. Ce n’est pas une discussion, où l’on cherche à convaincre. Ni un dialogue, où on cherche à bâtir une vérité commune sur un point important. La conversation, c’est un échange léger, qui aide à passer le temps, souvent empli de banalités, mais qui amène aussi parfois à des informations ou découvertes fort intéressantes, sur autrui ou sur sa vie.

Revenons à notre sortie d’école : je fais le pari que si les parents essayaient de laisser le portable dans leur poche ou leur sac, se regardaient, se souriaient, se saluaient, amorçaient quelques banalités, tout changerait : l’ambiance serait plus joyeuse, un sentiment de solidarité et de proximité se construirait peu à peu. Et pour les enfants, ce serait incontestablement un exemple réjouissant et inspirant que de voir leurs parents se sourire et se parler, au lieu d’être aspirés dans le virtuel.

Tiens, c’est bon argument ça ! Si vous voulez aider vos rejetons à ne pas être accros aux écrans, montrez-leur un autre exemple que vous courbé sur votre portable ! C’est comme ça qu’on change le monde : au lieu de se plaindre (« les gens sont de plus en plus indifférents les uns aux autres »), on change son comportement dans le domaine concerné.

On commence par se regarder, se sourire, converser un peu et voir ce qui vient. Et si rien ne vient ? Alors il sera toujours temps de retourner sur les réseaux sociaux. Si vous y tenez vraiment…

 

Illustration : trop de psychologie, c’est parfois mieux que trop de médicaments…  

PS : cette chronique a été publiée à l’origine dans Psychologies Magazine en février 2024.