Tous géniaux ?

 

 

Il y a deux ans (tout le monde l’a oublié) s’éteignaient les clameurs de la Coupe du Monde de football organisée en France. Les argentins avaient battus les français en finale. Et nous avions eu droit à une indigestion de génies du football à propos de leurs joueurs vedettes, Messi et M’Bappé. Sans jalousie aucune (je préfère le rugby), je n’en pouvais plus d’entendre ainsi le mot génie répété et galvaudé.

Que des sportifs soient talentueux, doués, d’accord. Mais géniaux ?

Besoin journalistique d’attirer attention et audience, sans doute. Mais aussi tic propre à l’époque : nous sommes devenus adeptes de l’hyperbole, figure de style qui exagère et amplifie la portée d’un message. Quand on nous soumet une bonne idée, nous disons génial ! super ! top ! au lieu de bien !

Cette inflation dans nos approbations ou félicitations a ses bons côtés : elle relève d’un souci sympathique de valoriser, de témoigner son enthousiasme, de mettre une bonne ambiance.

Mais ne contamine-t-elle pas nos esprits ?

Prenez par exemple une autre inflation, celle des surdoués.

La population des personnes au QI supérieur à 130 représente environ 6% de la population ; c’est déjà beaucoup. Mais j’ai l’impression que le titre de surdoué est revendiqué par encore plus de parents d’enfants simplement intelligents, notamment quand ils ont difficultés psychologiques et problèmes d’adaptation à l’école.

Les études scientifiques disponibles montrent pourtant que la grande majorité des enfants surdoués va bien, est adaptée et réussit tranquillement ses études. Les problèmes des enfants supposés surdoués sont donc souvent liés à autre chose que leur intelligence, et vouloir les attribuer au surdon brouille les pistes et retarde la mise en œuvre des bonnes solutions.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Depuis toujours, l’individu devait se soumettre à ses groupes d’appartenance : faire passer ses besoins après ceux de sa famille, de son métier, de son pays ; placer ses devoirs envers ces groupes au-dessus de ses droits par rapport à eux ; s’adapter aux institutions sociales plutôt que réclamer qu’elles ne s’adaptent à soi…

Puis, du XVIIe au XXe siècles, les droits de la personne se sont peu à peu imposés : très bonne chose ! Puis ces droits se sont peut-être trop affirmés : l’air du temps (« parce que je le vaux bien ») soufflant joyeusement sur les braises, toujours prêtes à s’enflammer, de l’ego. Les encouragements, légitimes, des psys à s’affirmer et cultiver une bonne estime de soi ont dépassé leurs objectifs et engendré, de l’avis des chercheurs, une épidémie de narcissisme.

Le problème, c’est que le narcissisme ne consiste pas qu’en une boursouflure de l’ego : il nous coupe des autres.

Nos dons éventuels, notre talent, voire notre supposé génie, doivent aussi et surtout à d’autres que nous : parents, enseignants, conjoints, collèges, etc.

Nous ferions bien de nous souvenir de la mise en garde de Montesquieu « Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie ; il ne faut pas être au-dessus des autres ; il faut être avec eux. »

Ni sous ni sur : avec !

 

Illustration : maison de surdoué (maison de Victor Hugo, place des Vosges à Paris).

PS : cette chronique a été publiée à l’origine dans Psychologies Magazine en juin 2023.

Références :