L’infini, les caniches et l’amour
À propos de notre sujet de cette semaine ? « Il nous fait peur et nous attire à la fois. Nous venons de lui, nous allons vers lui, et nous le portons en nous : c’est l’infini, et je vous parle tout à l’heure de ses rapports avec les caniches et l’amour… »
Allez, on commence par une vacherie de Céline, l’écrivain : « L’amour, c’est l’infini mis à la à portée des caniches. » C’est méchant et pour les caniches et pour l’amour. Mais l’infini en sort indemne. Et voit rappelée sa place dans nos vies.
Eh oui, dans nos petites vies, finies et bornées, l’infini tient une grande place. Il est d’abord, et bien souvent, source d’angoisse, comme l’évoquent les mots célèbres de Pascal, dans ses Pensées : « Car, enfin, qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. »
Pourtant, malgré ces angoisses, nous sommes attirés par l’infini. Il nous fascine. Peut-être parce que nous sommes mortels et que nous le savons. Notre intelligence et notre conscience nous offrent la certitude de la mort, un jour ; mais elles nous offrent aussi le pressentiment que nos angoisses face à l’infini pourraient être métamorphosées en espérance grâce à lui. Car, si nous ne sommes peut-être pas sortis du néant, mais de l’infini, tout est possible pour la suite. C’est ce que suggère Lamartine dans ses Méditations poétiques : « Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, / L’homme est un Dieu tombé qui se souvient des cieux. »
C’est beau, c’est rassurant, mais est-ce vrai ? Ah… c’est le souci avec l’infini : notre cerveau n’est pas équipé pour le concevoir clairement et nos mots ne sont guère adaptés pour le décrire. Le mot « infini », comme l’écrit Paul Valéry, « est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus qu’ils ne parlent ; qui demandent plus qu’ils ne répondent… »
Finalement, c’est peut-être sans les mots que nous pouvons le mieux approcher l’infini, au travers de la musique par exemple, surtout la musique de Bach. Arrêtez tout, respirez, écoutez…
Oui, certaines musiques font naître en nous le sentiment de l’infini, d’une beauté infinie, d’une paix infinie…
La présence de l’infini, c’est quand on sent que quelque chose est là, qui nous dépasse, mais sans nous effacer, sans nous anéantir, quelque chose au-dessus de nous mais aussi en nous, quelque chose avec quoi nous sommes en contact, en résonnance.
C’est bien sûr ce qui se passe quand nous regardons, la nuit, le ciel étoilé.
C’était aussi, pour moi, quand j’étais jeune étudiant en médecine, en stage d’obstétrique, ces moments où j’observais l’œil des nouveau-nés s’ouvrant pour la première fois sur le monde : j’y voyais alors l’infini des pouvoirs et des fragilités de cette incroyable espèce humaine.
Et puis, il y a l’infini de l’amour, et tous ses visages : l’inépuisable amour que l’on ressent pour ses enfants, pour la personne qui partage notre vie – attention, j’ai dit amour infini, pas amour permanent ! – mais aussi l’amour pour ses proches, pour les humains, l’amour pour la vie toute entière en fait. Avec, en miroir, cet autre infini : celui de notre intarissable besoin d’être aimés et rassurés.
Céline a tort quand il nous traite de caniches, mais il a raison quand il associe l’expérience de l’amour à celle de l’infini. Et c’est aussi ce qu’écrivait cet autre grand génie foutraque, Arthur Rimbaud, dans son poème Sensation : « Je ne parlerai pas, je ne penserai rien, / Mais l’amour infini me montera dans l’âme… »
Je vous le disais tout à l’heure : nous venons de lui, nous allons vers lui, et nous le portons en nous : c’est l’infini…
Illustration : – ” C’est qui ce Céline ? ” – ” Laisse tomber, c’est une tête à claques. ” – “Oui, inélégant au physique comme au moral !”
PS : cet article reprend ma chronique (à écouter ICI) du 9 janvier 2024 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.