Le bœuf est lent, mais la terre est patiente

 

 

C’est la méditation qui m’a appris cela, voilà longtemps : l’attente n’est pas forcément une souffrance.

Attendre un train, par exemple, sur le quai d’une gare. On peut transformer ce moment en moment d’impatience : « il va arriver quand ? de quel côté ? sera-t-il bondé ? », on peut surveiller l’horloge et le bout du quai, on peut se priver de quelques minutes de vie en se consacrant nerveusement à cette attente.

Mais on peut aussi, une fois calé sur le bon quai, prendre le temps de respirer, de relâcher ses muscles, de regarder ou d’écouter ce qui se passe autour de soi, ou en soi ; bref, on peut transformer ce moment d’attente en moment de vie, consciente et tranquille.

Mais ce n’est pas si simple, et la plupart d’entre nous, moi le premier, avons le réflexe de l’attente impatiente, plus que celui de l’attente apaisée. Subir et s’énerver plutôt qu’accepter et savourer.

Il y a à cela une première explication, culturelle : nous vivons une époque d’accélération, de chasse à la lenteur et à l’attente, une époque où il y a tellement de choses à consommer, à voir, à faire que la moindre attente nous rend fous. Notre devise pourrait être Omnia illico ! Tout, tout de suite !

Mais il y a aussi une seconde explication, naturelle, immémoriale : nous sommes des créatures mortelles, et conscientes de l’être. Nous ne savons pas ce que durera notre vie. Alors, bien sûr, nous avons envie de tout faire ou du moins d’en faire le plus possible. La lenteur, c’est quand même plus facile à accepter dans l’éternité que dans le cadre d’une courte existence humaine…

Bon, c’est vrai, c’est très triste, même en cent ans, nous n’aurons pas le temps de tout faire. D’où précipitation, impatience et envie d’aller vite. Problème : en allant vite, on en fera peut-être un peu plus, mais certainement pas tout. Et en plus on manquera l’essentiel : savourer ce que l’on va faire, ce que l’on va vivre.

La vitesse, ce n’est ni mieux ni moins bien que la lenteur. Les deux nous sont nécessaires, selon les moments, selon nos envies et nos choix. Le problème, on l’a vu, c’est qu’on ne choisit pas vraiment, et que notre société contemporaine survalorise vitesse et rapidité.

Ainsi, je suis allé voir dans un dictionnaire de synonymes quels étaient les mots équivalent à lent et à rapide. Écoutez, c’est instructif…

Synonymes de lent : alangui, apathique, appesanti, balourd, calme, endormi, engourdi, flegmatique, flemmard, indolent, inerte, irrésolu, lambin, long, mou, nonchalant, somnolent, stagnant, traînant, traînard… Que du négatif, ou presque !

Synonymes de rapide : actif, agile, alerte, diligent, empressé, fulgurant, immédiat, leste, preste, prompt, véloce, vif… Que du positif !

La vitesse et la rapidité sont ainsi aujourd’hui, culturellement valorisées, ce qui influence nos réflexes, nos choix, nos styles de vie.

Moi, j’ai un avis sur tout ça. Dans la nature, la lenteur est toujours du côté de la vie, et la vitesse, du côté de la mort. Les végétaux, les animaux prennent leur temps. Sauf quand des prédateurs rappliquent. Les prédateurs ont besoin de la vitesse pour croquer leurs proies. Et leurs proies ont alors, elles aussi, besoin de la vitesse pour échapper à la mort. Le reste du temps, le monde animal prend son temps…

Alors, j’ai choisi mon camp. La lenteur comme attitude de base, l’accélération et la vitesse quand je n’ai pas le choix. Par exemple, quand je vais prendre mon train, j’arrive en avance pour avoir le temps de ne pas me dépêcher, et de devoir courir sur le quai de la gare.

Mais tout ça se discute, bien sûr, c’est une affaire personnelle et vision du monde que ce rapport au temps de chacune et chacun d’entre nous. Tenez, je vous donne sur ce thème un petit devoir à faire à la maison, d’ici ma prochaine chronique.

Commentez en deux pages ce proverbe chinois : « Le bœuf est lent, mais la terre est patiente. »

Je vous donne… allez, je vous donne 15 jours, prenez tout votre temps !

J’attends vos copies sans impatience !

 

Illustration : d’accord ce n’est pas un boeuf mais une chèvre, mais elle est patiente, elle aussi… (fragment de sculpture romane du petit musée de Saint-Guilhem le Désert).

PS : cet article reprend ma chronique du 29 août 2023 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.