Méchanceté, bienveillance, fermeté

 

Je tombe parfois, au fil de mes vagabondages Internet, sur des commentaires méchants. Parfois dirigés contre moi ou mon travail, mais aussi vers d’autres que moi. J’en suis toujours étonné, plus qu’agacé. Comment expliquer que l’on perde du temps de vie à suivre, lire ou écouter des personnes, seulement pour les agresser ? Il y a tellement de choses intéressantes à faire par ailleurs !

Éternelle, la méchanceté connaît de nos jours une nouvelle jeunesse grâce aux réseaux sociaux, lui permettant de s’exprimer dans l’anonymat, de se déchaîner, de devenir une arme de persécution, pouvant pousser ses victimes au suicide.

La méchanceté n’est pas mon fort (j’ai d’autres défauts !). Je ne sais pas me montrer méchant, et je ne sais pas bien détecter les personnes méchantes, ou voir venir les méchancetés. Peut-être est-ce pour cela que la méchanceté est pour moi une énigme fascinante.

Qu’est-ce que la méchanceté ? C’est faire le mal volontairement. Pas forcément par plaisir, il s’agirait alors de perversité, et tous les méchants ne sont pas pervers. Mais c’est faire le mal consciemment, en sachant parfaitement qu’on fait souffrir. Ce peut être par égoïsme : devenir méchant dans une discussion si on a le dessous dans ses arguments ; par jalousie : être méchant avec quelqu’un qu’on envie ; par lâcheté : faire comme tout le monde, suivre la meute pour continuer d’en faire partie.

On connait le mot célèbre de Socrate : « Nul n’est méchant volontairement. »

Effectivement, la méchanceté est rarement l’expression du bonheur, et les gens méchants sont souvent malheureux. On pourrait dire que la méchanceté est un sous-produit du malheur. Mais tous les gens malheureux ne sont pas méchants pour autant. Cela me fait penser au mot de Jules Renard : « – Pourquoi êtes-vous méchant ? – Parce que je n’ai pas la force d’être bon. »

La méchanceté, c’est parfois le renoncement à changer ce qui ne va pas en nous ou dans nos vies, et la tentation d’abaisser les autres à notre niveau, celui de la souffrance et de l’impuissance, et de les rendre malheureux, comme nous, par la méchanceté.

Les méchants peuvent être gentils avec certaines personnes. « Nul n’est méchant totalement », pourrait-on dire pour paraphraser Socrate que nous évoquions un peu plus haut. Ce qui serait une raison pour ne pas parler de personnes méchantes mais de comportements méchants. On raisonne volontiers ainsi avec des enfants, qui ont encore tout à apprendre, mais plus difficilement avec des adultes, surtout les récidivistes de la vacherie !

Comprendre, donc, mais ne pas admettre. Et se défendre de la méchanceté.

D’abord, en prenant ses responsabilités, en pratiquant soi-même au quotidien son contraire : bonté, gentillesse, douceur. Non pas toujours l’être, mais toujours commencer par cela : la bienveillance comme attitude par défaut. Puis, si la méchanceté face à nous persévère ou récidive, ne pas se laisser faire, bien sûr. En se souvenant que la réponse à la méchanceté, ce n’est pas la méchanceté en retour, mais la fermeté.

Bienveillance et fermeté, mais oui, ça va très bien ensemble !

 

Illustration : un moyen possible pour faire taire les méchants (Duel d’Onéguine et de Lensky, par Ilia Répine, 1899).

PS : cette chronique a été publiée à l’origine dans Psychologies Magazine en août 2023.