Le pouvoir attracteur de la pleine conscience
Il se passe parfois de drôles de trucs lorsqu’on médite.
De drôles de trucs dans notre notre corps, dans notre tête, bien sûr. Mais aussi tout autour de nous…
L’autre jour, par exemple, une amie m’écrit ceci : « J’ai une petite histoire à te raconter. Comme tu le sais, je médite ; et de temps en temps je médite avec mon téléphone et ta voix… Je m’installe le plus droit possible assise en tailleur avec un plaid sur les jambes pour être plus confortable. Je choisis le thème selon mon humeur et mets mon téléphone sur haut parleur. Eh bien figure-toi que mon chat, dès qu’il entend le son de ta voix, arrive, s’installe confortablement en rond sur mes jambes et se met à ronronner… La première fois, cela m’a étonnée, car c’est un chat indépendant, et qu’il vienne de lui-même s’installer sur moi est exceptionnel… Donc j’étais partagée entre le petit bonheur que j’éprouvais à le sentir blotti contre moi, et le fait que mon esprit n’était plus tout à fait à ce que j’étais sensée faire : me concentrer sur ma respiration. Depuis j’ai accepté sa présence… et son ronronnement… et je médite. C’est quand même drôle cette histoire de chat qui apprécie la méditation ! Tu pourrais élargir ta cible : humains… et animaux ! Mais je plaisante, tu as déjà assez d’activités 😉 »
Je pense alors à une autre anecdote, racontée par un autre de mes amis alors qu’il apprenait la pleine conscience : « J’étais installé au salon, sur mon coussin, et je venais à peine de commencer mon exercice quand j’ai entendu la porte s’ouvrir doucement, et j’ai reconnu les petits pas de ma fille qui s’approchait doucement, se demandant ce que j’étais en train de faire. J’ai fait comme si je ne l’entendais pas, et après m’avoir observé, elle s’est assise précautionneusement à mes côtés, en m’imitant. J’ai résisté à l’envie d’ouvrir discrètement les yeux pour l’observer, et je n’ai rien dit : je trouvais ça touchant et très mignon, et j’étais content qu’elle vienne d’elle-même expérimenter la pleine conscience, comme ça, sans contrainte aucune… »
Et un souvenir encore plus lointain me revient alors, une petite histoire qui avait eu lieu un jour que nous étions sortis de Sainte-Anne avec un groupe de patients méditants pour une séance en plein air. C’était le printemps, il faisait grand beau temps, et nous avions marché jusqu’au Parc Montsouris, juste à côté de l’hôpital. Nous étions tous pieds nus dans l’herbe, dans un coin du parc, debout, les yeux fermés, à nous centrer sur toutes les sensations présentes. De temps en temps, j’ouvrais les yeux pour voir si tout était OK avec les patients. Et à un moment, je m’aperçois que deux jeunes filles inconnues nous avaient rejoints : elles s’étaient mises elles aussi pieds nus, debout les yeux fermés, et respiraient tranquillement à nos côtés, ivres des sensations de cette belle fin d’après-midi de printemps. Le temps que nous terminions l’exercice et que tout le monde rouvre les yeux, elles étaient reparties ; je n’ai jamais pu leur parler pour savoir ce qui les avait conduites à s’arrêter pour méditer avec nous.
C’est drôle ce pouvoir attractif des personnes qui méditent. Je me suis souvent demandé quel en est le mécanisme. Est-ce le bien-être que nous procure la proximité d’une personne ou d’un groupe calme, tranquille, apaisé ? Qui ne fait rien de particulier ni de compliqué, qui ne poursuit aucun but ? Ou bien s’agit-il d’une contagion, d’une extériorisation des deux grandes attitudes qui fondent la pleine conscience : être accueillant envers tout ce qui vient et qui compose notre expérience de chaque instant, et être bienveillant envers soi-même ? Ces deux manifestations de l’état d’esprit des méditants se perçoivent-elles intuitivement de l’extérieur ?
Car, tôt ou tard, tout ce que nous construisons au dedans de nous-même devient perceptible au dehors…
Illustration : Île d’Iriomote, Okinawa, 2000, par Gérard Rondeau (merci Passou).