Le retour de l’été

 

« Je choisis tout ! »

La célèbre formule de Thérèse de Lisieux évoquait à la fois son appétit d’enfant pour la vie, et sa pleine acceptation, plus tard, des épreuves et des grâces d’une existence humaine. Mais son « Je choisis tout » marche aussi en matière de saisons ! Chacune a son charme, bien sûr : la mélancolie douce de l’automne, la densité féconde de l’hiver, l’élan vital du printemps, tout cela c’est merveilleux. Quelle chance nous avons de vivre en pays tempéré et de voir défiler les saisons, sans avoir le temps de nous y habituer et de nous en lasser. Alors, oui, toutes les saisons sont belles et savoureuses, et toutes sont à choisir.

Mais quand même, l’été, c’est autre chose !

C’est la saison autour de laquelle les autres tournent : le printemps, c’est l’annonce des beaux jours ; l’automne, leur nostalgie ; l’hiver, leur espérance. Mais seul l’été se suffit à lui-même, il est sa propre et triple plénitude : du corps, de l’esprit et de l’âme.

Plénitude du corps, d’abord : sensorialité de la peau nue caressée par le vent tiède, réchauffée par le soleil et le bleu du ciel ; saveurs de la nourriture estivale pleine d’odeurs et de couleurs ; immersion dans une nature accueillante… En été, tous nos besoins fondamentaux sont satisfaits, notre animalité est comblée.

Plénitude de l’esprit, ensuite : l’été desserre l’étau du stress ; il est la saison des grandes vacances, les plus longues de l’année, celles du temps retrouvé, où l’on en vient à oublier l’écoulement des heures, où l’on ne nomme plus les journées (« on est mardi ou mercredi, là ? ») mais où on les savoure. En été, on vit plus qu’à tout autre moment dans le présent, un présent qui suspend son cours et nous offre des bouffées d’éternité.

Plénitude de l’âme, enfin : l’été nous procure des moments de sérénité, par des reconnexions multiples : à notre corps, à la nature, à une vie sans pourquoi. Le paradis, où Adam et Ève vivaient nus, doit ressembler à une journée d’été !

Je parlais un jour de notre vieillissement avec une amie ; elle me racontait qu’elle avait commencé à se sentir âgée lors d’un de ces moments délicieux de l’été : allongée dans son hamac sous l’ombre d’un arbre, entendant au loin le bourdonnement des abeilles et le bavardage de ses petits-enfants, elle s’était sentie comblée ; et s’était alors demandé : « combien d’étés semblables me restent à vivre ? » Loin de l’angoisser, ce calcul existentiel l’avait apaisée : « en l’absence de réponse certaine, j’ai compris que la seule option était de savourer chaque été, chaque instant de cet été, de toutes mes forces ».

Dans son recueil de nouvelles « L’Été », Albert Camus écrit cette phrase devenue culte : « Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible. » Cet invincible été nous nourrit et nous grandit, nous rapproche de nous-même et du monde, nous donne un avant-goût d’éternité. Il nous transmet sa force. Et cette force, faite d’animalité et de spiritualité mêlées, nous porte, bien souvent, tout le reste de l’année.

 

Illustration : un plongeon dans un nouvel été (Diver with Palm, Sarah Morrissette, 2021).

PS : cette chronique a été publiée à l’origine dans Psychologies Magazine en juillet 2023.