Les anges, derrière ton épaule
C’est dans le dernier livre de Christian Bobin, La Nuit du cœur, une merveille comme d’habitude. Dès le chapitre 3, ceci : « J’écoute le bruit que fait l’araignée d’eau courant sur l’étang. Je frissonne au passage d’un ange pressé de rentrer chez lui. » Christian voit des anges partout ; c’est une des sources de sa grâce.
Il y a des gens comme ça, qui croient aux anges. Longtemps, j’ai eu du mal avec ce truc, vraiment. Peut-être était-ce dû à une patiente, croisée lorsque j’étais jeune interne. Elle se promenait dans les couloirs de l’hôpital en écartant de ses mains des mouches qui volaient tout autour d’elle. Mais il n’y avait pas de mouches. Et quand je lui demandai pourquoi ces gestes de la main, elle m’expliqua, l’air préoccupé : « ce sont les anges, qui volent trop près de moi ; ne les voyez- vous pas ? » Non, je ne les voyais pas ; et je ne les vois toujours pas aujourd’hui.
Mais beaucoup de mes proches les voient, ou les sentent. C’est mon cousin François, qui nous raconte qu’il a perçu leur présence, au soir d’une journée d’été où l’amitié a soufflé sur notre groupe, et réconforté un de ses frères, déprimé. C’est mon épouse, après la lecture d’un petit livre offert par une amie, qui se met, dès le lendemain, à voir la main des anges derrière toutes les joies de la journée.
À leur contact, je me mets parfois à croire, moi aussi, aux anges, à chercher leurs traces dans nos vies. Cela m’aide à mieux voir tous ces copeaux de bonheurs minuscules qui nous tombent du ciel, chaque jour. Ils sont vraiment là, eux ; ils ne sont pas une illusion. Croire aux anges me fait du bien. Un bien fou.
Je pense souvent à la phrase de Claude Nougaro, dans sa chanson Plume d’Ange : « La foi est plus belle que Dieu. » Même si Dieu n’existe pas, la foi est belle et réconfortante. Même si les anges n’existent pas, songer à leur présence à nos côtés nous soutient, nous ouvre les yeux sur ce que nous oublions : la chance d’être là, vivants.
Croire aux anges nous rend humbles : tout ne dépend pas de nous, de nos efforts, de nos qualités ; pour que la vie soit belle et bonne, il y a aussi des choses et des chances qui doivent nous tomber du ciel.
Croire aux anges, c’est penser qu’une présence aimante veille sur nous. Parfois imprévisible dans ses actions, dans ses absences, dans ses violences aussi, que nous ne comprenons pas, ou seulement des années plus tard.
Pas besoin d’y croire à 100%. On peut juste se contenter d’une demi-croyance. On en a beaucoup, de ces demi-croyances, de ces confiances dont nous ne sommes pas sûrs qu’elles soient fondées ni garanties, mais dont nous percevons obscurément que nous ne pourrions vivre sans elles.
Maintenant, arrêtez-vous de lire. Arrêtez-vous de tout. Respirez. Écoutez. Ressentez. Je suis sûr qu’il y en a un, là, penché sur votre épaule, juste à cet instant…
Illustration : l’ange de la cathédrale de Reims.
PS : cet article a été initialement publié dans Psychologies Magazine en décembre 2018.