Mains d’aristo
C’est un souvenir de quand j’étais petit, à l’école primaire. Ça devait être en CE1 ou CE2.
La maîtresse nous racontait, pendant le cours d’histoire, que lors de la Révolution Française on dépistait les aristocrates qui essayaient de passer inaperçus pour fuir le pays, en leur faisant montrer les mains : le peuple avait toujours les mains calleuses et abîmées, et les «aristos» les avaient au contraire blanches et délicates… Une fois démasqués, couic, on leur coupait la tête (enfin, ça, c’était ma conclusion).
Cette histoire m’avait rendu très inquiet : bien que d’origine populaire et pas du tout aristo, j’avais de blanches petites mains de rejeton noble. Et je me disais que si demain, il y avait une nouvelle révolution, on me couperait sûrement la tête malgré mes protestations !
Mon grand-père communiste, à qui j’avais parlé de mes inquiétudes, dut me rassurer : «Ne t’inquiètes pas, tu ne risques rien, je leur dirai que tu es un fils du peuple, et que tu es abonné à Vaillant». Vaillant, c’était à l’époque le magazine pour la jeunesse du Parti Communiste Français. Un peu rassuré mais tout de même soucieux d’assurer ma survie, je me débrouillais du coup toujours pour en garder quelques exemplaires dans mon cartable ou mes sacoches de vélo, en cas de révolution soudaine et de retour d’expéditifs tribunaux populaires.
Je n’ai jamais pensé que l’enfance était un âge d’insouciance. Disons que les soucis durent moins longtemps, et se solidifient moins vite que chez l’adulte. Et qu’ils sont plus vite balayés par les bonheurs qui passent. En principe…
Illustration : un exemplaire de Vaillant.