Nature morte
« Cherche, parmi tous ces objets misérables et grossiers de la vie paysanne, celui, posé ou appuyé et n’attirant point l’œil, dont la forme insignifiante, dont la nature muette peut devenir la source de ce ravissement énigmatique, silencieux, sans limite. »
Hugo von Hofmannstahl, Lettre de Lord Chandos.
Ils nous parlent, ils murmurent à nos oreilles. Mais quoi ? Il faut d’abord s’arrêter pour les entendre, ces chuchotements. Puis essayer de les comprendre. S’arrêter, respirer et s’immerger dans la contemplation des objets.
« Nature morte », quel drôle de nom ! L’appellation anglaise still life – vie immobile -, et l’allemande, et la flamande, qui disent la même chose, sont bien plus proches de la réalité : ces peintures montrent une vie silencieuse, calme, apaisée. Qu’elles nous invitent et nous incitent à rejoindre. Dans ce monde en mouvement, dans ce monde utilitaire, la nature morte nous arrête : vie immobile, vie inutile. Inutile ? Parce qu’elle n’a rien à montrer que de l’ordinaire ? Mais justement : ce qu’elle nous montre, c’est l’ordinaire qu’on ne regarde jamais.
Et si l’on regarde, on voit : de la simplicité en majesté. Une présence intense derrière l’immobilité. Si l’on regarde, on voit que même ce qui ne clignote pas, ne bouge pas, ne scintille pas, ne fait pas de bruit, peut avoir de l’intérêt et de l’importance. Si l’on regarde, on voit qu’il y a de la beauté, de l’intelligence et même de la grâce dans le simple, l’accessible, le disponible.
Je me souviens d’une discussion, un jour, avec un moine Zen qui me recommandait de toujours respecter l’inanimé. Mais qu’est-ce que l’inanimé ? C’est, me disait-il «ce qui ne crie pas quand on le frappe». Les choses, les objets, tous ces bouts de matière, qui ne crient pas, jamais. Mais qui parlent parfois…
Illustration : une “nature morte” qui vit et parle, de Chardin.