Manipulare humanum est

 

  

« Bon, alors tu vas lui dire, mais sans lui dire que c’est moi qui te l’ai dit, sans lui dire que ça vient de moi… Comment ça, une embrouille ? Mais non, pas du tout ! Au contraire, c’est pour simplifier les choses… C’est toi qui vois des embrouilles partout… Tu ne serais pas un peu psychorigide ? »

Ça vous rappelle des choses, n’est-ce pas ? Rien d’étonnant, la manipulation est fréquente dans nos vies, que nous ayons à la subir, ou qu’elle vienne de nous : car les manipulateurs, ce ne sont pas toujours les autres, bien sûr… Manipulare humanum est ; perseverare in manipulatio, diabolicum !

Manipuler quelqu’un, c’est vouloir obtenir quelque chose de lui, sans tout lui dire clairement : ni ce à quoi on veut l’amener, ni pourquoi on fait cela, etc.

On manipule le plus souvent par faiblesse (parce qu’on ne se sent pas assez fort pour être entendu), ou par calcul (parce qu’on veut être sûr d’obtenir ce qu’on veut) ; plus rarement par perversité (parce qu’on aime avoir l’ascendant sur les autres).

Et il y a ainsi deux pôles extrêmes chez les manipulateurs récurrents : le pôle des embrouilleurs, qui manipulent par peur qu’on leur dise non, et parce qu’ils ne savent pas être francs ou autoritaires. Et le pôle des pervers, vicelards calculateurs, fourbes, maniganciers et autres tordus (on voit à cette richesse de vocabulaire que l’affaire ne date pas d’aujourd’hui), qui manipulent sans embarras ni culpabilité. Entre ces deux extrêmes, la vaste famille des manipulateurs occasionnels – vous et moi, sans doute – qui manipulent de temps en temps, parfois inconsciemment, mais n’en font pas une stratégie répétée. On leur pardonne :« Manipulare humanum est. Perseverare in manipulatio, diabolicum. »

Que l’internaute qui n’a jamais manipulé sentimentalement autrui, par désir ou par amour, me jette la première pierre… 

Bon, celle-là de manipulation – « Viens vite ma petite, plus tard sera trop tard » – elle est un peu lourdingue et datée, de Ronsard (“Mignonne, allons voir si la rose”) à Tino Rossi (“Ô Catarinetta Bella“), les jeunes filles ont appris à s’en prémunir. Mais les techniques des manipulateurs progressent au fil des évolutions sociales. Alors, quand on se sent piégé dans une manœuvre manipulatoire, que faire ?

Au moins quatre choses !

  • D’abord, s’écouter. Quand on nous manipule, le plus souvent on le sent : notre corps, nous envoie des signaux, notre intuition nous dit que quelque chose ne va pas.
  • Puis s’affirmer : s’exprimer sur ce qu’on ressent et mettre la manipulation à plat : « tu me demandes d’intervenir à ta place sans le dire clairement, ça me met mal à l’aise » ; si le mécanisme n’est pas encore clair, dire simplement « :  non, ça ne va pas, quelque chose ne me convient pas dans cette histoire… »
  • S’attendre à une riposte accusatrice et culpabilisante, voire menaçante : « tu n’es pas sympa, tu es psychorigide, ça me met dans le pétrin, ça me fait de la peine, tu ne me fais pas confiance… »
  • Et répondre simplement avec la méthode du disque rayé (qui consiste à répéter son refus sans se justifier) : « non, je suis mal à l’aise avec ce que tu me demandes » puis se taire, ne pas se justifier davantage, car le manipulateur se nourrit bien souvent de nos excuses et de tout ce que nous lui disons.

Bon, finissons sur une note plus joyeuse : un éloge de l’anti-manipulation, c’est-à-dire de la sincérité ! Qu’au moins notre agacement face à la manipulation nous fasse apprécier et célébrer la franchise, même lorsqu’elle nous dérange. Parce que si la manipulation nous met mal à l’aise et que la franchise nous blesse, alors là, on est mal parti les amis…

 

 

Illustration : “- Venir prendre un petit bain tiède dans cette belle casserole ? Mmm…. Vous ne seriez pas un peu manipulateur, vous ?” (Homard, par Mathurin Méheut).

PS : cet article reprend ma chronique du 15 février 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.