S’attendre à l’inattendu

 

Et si nous parlions aujourd’hui de retrouver le goût de l’inattendu ? Je vois au moins 3 bonnes raisons à cela : l’inattendu est inévitable, désirable, et favorable.

L’inattendu est inévitable, bien sûr, et on peut même dire que vivre, c’est s’attendre constamment à de l’inattendu. Que notre vie est la somme de tous nos efforts pour prévoir, planifier et construire ; et que sur tous ces efforts s’abat régulièrement la pluie de l’inattendu. Certains donnent à l’inattendu le nom de hasard ou de destin ; et chacun sait qu’il peut prendre des visages tantôt joyeux, tantôt douloureux …

Inévitable, l’inattendu est aussi désirable, car les routines et habitudes nous sécurisent et nous reposent, certes, mais nous ennuient aussi, nous endorment, nous amollissent. L’inattendu est alors comme un piment, une épice dans la fadeur du quotidien, un pincement qui nous tire de notre somnolence face à la vie répétitive. L’inattendu est ainsi un besoin souvent vital dans la vie des groupes, et surtout des couples

Désirable, inévitable, l’inattendu est, enfin, favorable pour notre mental, car il nous contraint à la flexibilité, l’ouverture, l’adaptation constante aux changements de cap non planifiés. Cette flexibilité à un coût, c’est le stress, ou parfois l’anxiété, quand la pression de l’inattendu devient massive. C’est pourquoi il est inutile d’idéaliser l’inattendu, de la présenter comme un bien en soi. Beaucoup d’entreprises, dans leur jargon si particulier, ont ainsi valorisé depuis quelques années la vertu dite d’« agilité », pour mieux faire avaler à leurs salariés un certain nombre d’incohérences de managements ou de mauvaises planifications…

Malgré toutes ses vertus, l’inattendu n’est pas supérieur à l’attendu. Les deux sont nécessaires à nos vies : le dérangement de l’inattendu et le confort de l’attendu. Ce sont nos sociétés ultra planificatrices qui tentent de raréfier et d’écarter l’inattendu, et le rendent ainsi plaisant à nos yeux. Mais nos ancêtres, aux vies très incertaines et menaçantes, en avaient leur dose, et étaient de ce fait moins friands que nous que l’imprévu déboule dans leur quotidien, tant celui-ci prenait souvent un visage douloureux.

Et puis, une face sombre du goût pour l’inattendu, du moins lorsqu’il concerne des événements plaisants, c’est qu’il témoigne souvent de notre moderne incapacité à attendre, de notre addiction au divertissement et à la nouveauté, de notre besoin que tout nous arrive tout de suite.

Alors, pour parfaire nos équilibres intérieurs, cultivons donc aussi une sagesse de l’attente, telle que la suggèrent les derniers mots du roman d’Alexandre Dumas Le Comte de Monte-Cristo : « Attendre et espérer. »

« Attendre et espérer » : voilà qui pourrait être un beau programme pour l’incertaine année qui vient : s’attendre à l’inattendu, espérer qu’il ait un visage clément, et continuer de vivre et d’agir aussi joyeusement et énergiquement que possible…

 

Illustration : un bon moyen de se protéger de l’inattendu (photo Passou).

PS : cet article reprend ma chronique du 4 janvier 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.