Mon cerveau anxieux

 

« Personne ne se frappe autant que moi, et à propos de tout. Car n’importe quoi m’est prétexte à tourment. Et je n’y peux rien… »

Ces mots sont ceux du philosophe Cioran, mais ils auraient pu être les miens, tant mon cerveau anxieux m’a longtemps amené à me tourmenter pour toutes les choses de la vie. Comme je pense que nous sommes nombreuses et nombreux, parmi les humains, à être prédisposés à l’inquiétude, je vais vous raconter notre histoire commune, à mon cerveau et moi. Peut-être ressemblera-t-elle à la vôtre ?

Il était une fois un petit humain venu au monde dans une famille de grands anxieux, et donc devenu grand anxieux lui aussi, par les lois conjuguées de la génétique et de l’environnement. Pendant longtemps il considéra qu’il était normal de se faire du souci pour tout.

Puis un jour, ça commença à l’agacer, un peu comme Cioran, toujours lui, qui écrivait ceci : « Des vétilles promues au rang de réalité cosmique ! Je suis manœuvré par elles comme un insecte. Sentiment d’intolérable humiliation… »

Alors, bien aidé par ses études de psychiatrie, le petit humain commença à se bagarrer contre son anxiété, à remettre en question cette vision du monde qui le poussait à toujours surveiller dans le présent et le futur où pouvaient se situer les dangers, puis à toujours les ressasser et les ruminer. Il décida de ne plus obéir à son anxiété.

« N’y pense plus tout est bien… » : plus facile à dire qu’à faire, c’est vrai. En tout cas, en continuant de travailler à celà, le petit humain découvre que tout n’est pas si dangereux que son cerveau ne veut le lui faire croire.  Au bout d’un moment, il s’aperçoit, et c’est encore Cioran qui le remarque, il s’aperçoit que nous, les anxieux, « nous sommes tous des farceurs : nous survivons à nos problèmes. »

Il s’aperçoit – merci la méditation – que si on prend le temps de se poser, de respirer, d’observer et d’interroger nos inquiétudes au lieu de les croire sur parole, elles commencent à s’affaiblir, et à ressembler à des simples problèmes à résoudre, à des obstacles normaux sur le chemin d’une vie humaine.

Et c’est la dernière partie de l’histoire : le petit humain comprend qu’il est possible de coexister avec son cerveau anxieux ; qu’il est possible de l’apaiser, de le calmer, de lui parler doucement à l’oreille. Il s’aperçoit qu’il avance dans la vie, monté non pas sur une bicyclette docile qui obéit à chacun de ses coups de pédale ou de freins, mais sur un cheval qu’il faut apprivoiser et rassurer pour en tirer le meilleur : tel est le cerveau des anxieuses et des anxieux.

Alors, voici mes deux messages du jour.

Le premier est pour mes semblables, mes sœurs et frères en inquiétude : ne cherchez pas – même en rêve – à effacer toute anxiété de votre esprit. Apprenez plutôt à l’écouter poliment vous alerter, après lui avoir demandé de se calmer ; puis prenez le risque de décider par vous-même, sans la laisser vous diriger ; et jugez des résultats…

Le second message est pour les proches de personnes anxieuses : n’oubliez pas que les inquiètes et les inquiets de votre entourage n’ont pas le même cerveau que vous : le leur les fait vivre dans un monde parallèle où ils voient, bien avant vous, tous les dangers auxquels vous êtes aveugle.

Vous ne comprenez pas pourquoi ils se font tant de souci ? Mais eux ne comprennent pas pourquoi vous vous en faites si peu ! Ils n’ont pas besoin de Facebook et de son Métavers, ils vivent déjà dans un univers virtuel pleine de menaces.

Alors, respectez leurs inquiétudes – car les anxieux n’ont pas toujours tort – mais ramenez-les doucement dans le vrai monde, celui où tous les dangers ne surviennent pas forcément, et où existent des solutions à la plupart des problèmes. Ne contestez pas leur talent à détecter le négatif, mais aidez-les plutôt à voir aussi le positif !

Bon allez, une dernière petite sentence pour la route ; elle n’est pas de Cioran, non, mais de La Rochefoucauld, un de ses frères littéraires : « Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent qu’à prévoir celles qui nous peuvent arriver. »

Au boulot les ami-e-s !

 

Illustration : vous voyez des méchants virus sur cette image ? C’est peut-être un peu d’anxiété, car ce ne sont que des éléments de pollen de tournesol…

PS : cet article reprend ma chronique du 25 janvier 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.