Ne plus soupirer

« Tout ce qu’on fait en soupirant est taché de néant », écrit Christian Bobin dans Les Ruines du ciel.

Pour cette année 2013, j’ai pris la résolution de ne plus rien faire en soupirant. Pas envie qu’il y ait trop de moments de néant dans ma vie.

Comme je ne suis pas masochiste, je vais d’abord m’attacher à refuser ce qui me fait soupirer : les invitations barbantes, les corvées plus souvent qu’à mon tour. Parfois, à le fuir : quitter une séance de cinéma si le film m’ennuie trop. Mais quand ce qui me fait soupirer sera inévitable, alors je m’efforcerai de m’y engager le cœur léger, et non à contre cœur – expression parlante, non ?

Ne plus agir en soupirant pour ne plus tacher de néant des instants qui sont tout de même des instants de vie : même quand on s’ennuie, même quand ce qu’on fait n’est pas drôle (laver la vaisselle, descendre la poubelle), même quand on serait mieux ailleurs, tous ces instant, ce n’est pas du néant, c’est du vivant. On est là, on respire, on entend, on voit, on sent. Ce n’est déjà pas si mal. Les morts, peut-être, aimeraient être encore en train de vivre ce qui nous fait soupirer, nous les vivants.

Pendant ces vacances, je suis tombé malade. J’ai du passer plusieurs jours enfermé, avec de la fièvre, endolori, ralenti. Pendant que tout le monde sortait festoyer, se balader et admirer. Ça ne m’a pas vraiment réjoui, de tomber (petitement) malade, mais je n’ai pas soupiré de l’être. J’ai lu, j’ai observé (bien obligé) ce qu’on ne regarde pas (le ciel changer par la fenêtre, les passants passer dans la rue, les objets et meubles immobiles), j’ai écouté les bruits qu’on n’écoute pas (la rumeur du dehors, les craquements des parquets). Je n’ai presque pas soupiré, donc, mais habité de mon mieux cette période. Et aujourd’hui, bizarrement, j’ai impression que ces journées de maladie, à regarder passer les heures, ont finalement été les plus belles et les plus fécondes de mes vacances. Parce que les plus contemplatives. Que j’y ai vécu, sans soupirer, bien plus fortement qu’en festoyant, qu’en visitant des quartiers ou des musées.

Donc, résolution 2013 face à ce qui me pèse : ne plus soupirer. Soit éviter, soit modifier, soit accepter, mais ne plus soupirer. J’espère tenir bon. Et j’espère que lorsque je craquerai (ça va bien m’arriver tout de même) je m’en apercevrai bien vite, et me remettrai au boulot. Sans soupirer…

Bonne année 2013 à toutes et tous.

Illustration : une drôle d’échelle, qui monte tout droit vers le ciel. Sculpture et photo de l’ami Daniel.