Pas Maman !

C’est une petite fille très agacée contre sa mère, et qui se confie à son père. Elle lui dit :

« – Tu sais, j’ai remarqué, quand je suis en colère contre maman, je ne veux plus lui dire “maman“, je ne veux plus l’appeler comme ça.

– Et pourquoi ? demande le papa.

– Parce que je ne l’aime plus, alors je ne veux plus lui dire “maman“ ! Parce que “maman“ c’est gentil, et c’est pour quand je l’aime !

– Je vois, répond le papa, mais alors, tu voudrais l’appeler comment dans ces moments ?

– Eh bien je ne sais pas, je n’ai pas envie de lui parler, pas envie de l’appeler ! Alors, je ne l’appelle pas, je lui parle sans dire son nom, sans rien ! »

Le papa sourit, en espérant que le conflit sera bientôt passé. Il pense à la charge affective des mots, et notamment des mots par lesquels nous désignons et appelons nos proches. Il se souvient de cet oncle et de cette tante qui se disputaient souvent, quand il était enfant lui-même et qu’il vivait chez eux. Lorsqu’ils étaient fâchés et qu’ils devaient faire une phrase mentionnant leur conjoint si agaçant, ils l’appelaient « l’autre » : « l’autre m’a dit que… », « l’autre m’a encore fait ceci ou cela… » Et toute la famille comprenait que ça chauffait entre eux.

Il se souvient aussi que dans sa famille, on utilisait rarement les prénoms officiels. Tout le monde portait un surnom affectueux ; comme s’il ne fallait pas user le vrai prénom (et de même, on n’usait pas, dans cette famille modeste, les habits neufs, qu’on réservait aux cérémonies et sorties dans le monde).

Lorsque nous nous aimons, nous utilisons nos prénoms ou nos petits noms tendres. Et quand nous ne nous aimons plus, il nous semble que continuer à les utiliser serait mentir, ou peut-être les salir. Ou trop se rapprocher de « l’autre », entrer avec lui dans une intimité dont, à ce moment du moins, nous ne voulons plus. Ce mot qui a porté notre amour ne peut pas porter aussi notre ressentiment. Pas lui. Il nous en faut un autre. Ou pas de mot du tout. Pour montrer qu’il n’y a plus d’amour, nous ne voulons plus utiliser les mots qui servaient à l’amour.

Au fait, ça s’est fini, pour la petite fille et sa mère ?

Bien, évidemment ; comme toujours entre elles.

Les conflits et leurs résolutions font partie de notre histoire et de notre éducation à ce qu’est une relation humaine. L’amour est donc revenu, et les « maman, maman ! » ont recommencé à résonner dans la maison. Un peu trop certains jours, au gré de la maman, qui trouve qu’au nom de l’amour, sa fille lui en demande beaucoup.

Mais être sollicité, n’est-ce pas, parfois, une façon d’être aimé ?

Illustration : Une maman et son fils, dans les rues de Paris. Street Art, par l’excellent Henri Zerdoun.