Pudeur et nudité
« Nu, je suis sorti du sein de ma mère, et nu je reviendrai dans le sein de la terre… »
C’est Job qui prononce ces mots dans l’Ancien Testament. Mais nous sommes tous concernés : nous qui parlons autour de cette table, et toutes les personnes qui nous écoutent, et toutes celles qui ne nous écoutent pas.
Nudité à notre premier jour : nous venons au monde nus, de corps et d’esprit, confiés à la bonté et l’amour des autres. Nudité à notre dernier jour, où la mort nous enlève tout ; elle a bien raison, car nous n’avons alors plus besoin de rien, comme nous le rappelle Christian Bobin : « La mort est une brave fille : on a beau médire d’elle, elle ne nous en veut pas et vient quand même nous débarrasser de notre corps, comme une maîtresse de maison qui, à notre entrée, prend notre manteau et le jette sur un lit dans la chambre d’ami. »
Voilà pour les deux visages les plus graves de la nudité : celui de la fragilité, et celui de la vérité. Puis, fort heureusement, la nudité évoque aussi des dimensions plus légères, plus souriantes…
Dans la vie – vous savez, la vie, ce truc intéressant se déroulant entre naissance et mort -, la nudité est souvent associée à 3 domaines : la sexualité, la santé, la liberté.
Nudité et sexualité d’abord : certes, on peut faire l’amour tout habillé, si on se focalise seulement à la procréation ; c’était la règle à certaines époques et ça l’est encore dans certaines cultures. Mais quel dommage de ne pas faire aussi l’amour tout nus pour le plaisir, quel dommage de ne pas utiliser la multitude de récepteurs aux caresses répartis sur toute notre peau.
Nudité et santé ensuite : on le sait, exposer notre corps nu, ou presque nu, au soleil permet à notre peau, entre autres bénéfices, de synthétiser l’indispensable vitamine D.
Nudité et liberté enfin : aller nu offre le sentiment de vivre son corps sans entraves et sans mensonges.
Bon pour ma part, peut-être parce que je suis psychiatre, peut-être parce que je suis coincé, je préfère parler de la pudeur que de la nudité !
La pudeur, c’est cette gêne ressentie à dévoiler son intimité à autrui ; pour certains, l’intimité commence à l’expression des émotions ; pour la plupart, elle concerne la nudité du corps.
Mais la pudeur ne s’oppose pas à la nudité, elle peut plutôt en être l’élégance. Il y a ainsi des manières pudiques de se montrer nus, et d’autres impudiques.
En fait, la pudeur est une réserve tournée vers autrui, une retenue vertueuse, un désir de ne pas agresser autrui, de ne pas affoler son désir ; une manière de se protéger soi-même, aussi du regard, du jugement, du désir des autres.
Attention, la pudeur n’est pas la pruderie, qui est, elle, la réticence aux affaires sexuelles, à la liberté du corps, et à toute forme de révélation de la peau.
La pruderie nomme impudeur ce qui n’est que de la peur : peur de la sensualité, peur de la sexualité. Alors que la pudeur n’est pas un refus de la nudité, mais un désir de ne pas en faire une histoire de pulsion ou d’obligation. La pudeur est le souhait, au contraire de faire de la nudité une histoire de délicatesse, de retenue.
Tiens, voilà qui m’amène à mon mot de la fin : la nudité sans la pudeur, c’est comme le sexe sans la tendresse, ou comme le pain sans le beurre. Il y manque l’essentiel : la douceur.
Illustration : Adam et Éve chassés du Paradis, fresque de Masaccio, vers 1428. Image avant et après restauration. Les feuilles pour cacher les sexes, pudeur ou pruderie ?
PS : cet article reprend ma chronique du 6 juin 2023, que vous pouvez écouter ici, c’était dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.