Pulsions et pénétrations

 

 

Avoir des enfants, c’est fatigant. Mais ça peut aussi servir à nous faire réfléchir, à bousculer nos prétentions et nos certitudes, à faire évoluer nos convictions.

Tenez, par exemple, il y a quelques temps, rendant visite à ma plus jeune fille, je tombe sur un livre posé sur sa table de chevet. Son titre : « Au-delà de la pénétration ». Wow : ça attire évidemment mon regard, et je me demande in petto : « qu’est-ce que c’est encore que ce truc ? ».

Malgré mon grand âge, j’ai bien compris qu’une énorme tectonique des plaques était en cours depuis quelques années, concernant les identités et pratiques sexuelles, mais là, je tombe soudain sur un livre qui semble remettre en question ce qui était, du moins à mes yeux anciens, l’alpha et l’omega du désir masculin : la pénétration.

Gentiment, ma fille m’explique de quoi parle l’ouvrage, et me recommande de le lire, me disant « tu vas apprendre plein de choses, papa… »

Bon, je me dis qu’il y a beaucoup de livres que j’ai davantage envie d’ouvrir que celui-là, que le temps me manque, et que je vois mal ce que je pourrai apprendre de nouveau sur ce thème, mais… Je me dis aussi que c’est ma fille, que c’est important de comprendre son époque et d’assouplir ses préjugés, et qu’avant de juger, il convient de vérifier.

Alors j’emporte le bouquin, je m’y plonge, et…

Et je m’aperçois que ce n’est pas si mal. En gros, il s’agit d’en finir non avec la pénétration, mais avec l’obsession ou l’obligation de la pénétration. Cette obligation n’est pas le top pour les femmes, qui à certains moments ont juste envie de caresses et de câlins.

Et l’auteur ajoute que cette obligation n’est pas non plus le top pour les hommes : l’obsession de la pénétration entraîne l’obsession de l’érection, et donc une anxiété de performance et des tourments de l’estime de soi pour nombre de mâles. Le livre rappelle donc avec bon sens que le plaisir passe aussi par d’autres voies que la pénétration, assez nombreuses et gratifiantes. Et qu’il faut apprendre à explorer. Bien…

Une fois le bouquin terminé, je me suis dit deux choses : la première, c’est « j’ai bien fait d’écouter ma fille » ; la seconde : « ben quand même, ça ne va pas être facile pour les hommes, cette histoire… » Les cerveaux masculins pourront-ils renoncer si facilement à un certain nombre de leurs obsessions ? 

Eh oui, ce ne sera pas facile de changer, notamment pour une génération comme la mienne, biberonnée à une vision du monde du type : « j’aime regarder les filles… ». Pas facile non plus pour les générations venues après nous, exposées à d’autres paroles de chansons, bien pires encore, et surtout aux sinistres images du porno en accès libre sur Internet.

Alors, perdu d’avance, le combat pour attendrir et civiliser un peu le désir masculin ? Pas forcément : certes, ce sera du boulot, mais on sait faire.

Prenez l’exemple de la violence : les humains, ou du moins la plupart d’entre eux, ont appris au fil des millénaires, à régler leurs conflits par la parole plutôt que par les coups. D’accord, ça dépend des gens et des moments, mais quand même, on considère que c’est mieux de commencer par parler plutôt que de commencer par cogner.

Alors, on arrivera bien à faire la même chose en matière de rapports femmes-hommes, pas seulement autour du sexe et du désir, d’ailleurs. Pour l’instant, tout ça paraît contraignant aux mâles ; et ça l’est, effectivement.

Mais il y a des contraintes fécondes, qui n’empruntent pas les voies de la facilité, mais plutôt celles de la lucidité, comme le rappelait le penseur béarnais, totalement oublié, Bernard Charbonneau : « L’humain a soif de vérité, mais est-ce la source qu’il cherche – ou l’abreuvoir ? »

En matière de désir masculin, où est la source et où est l’abreuvoir ?

Je vous laisse y réfléchir…

 

Illustration : un très étonnant tableau au Musée des Beaux Arts de Tours, “Dynamis” du peintre Veber (1902). Plutôt pensé pour dénoncer les conditions inhumaines du travail industriel mais difficile de ne pas penser à quelque chose de sexuel, n’est-ce-pas ?

PS : cet article reprend ma chronique du 11 octobre 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.