Smiling in the rain

 

 

C’est une histoire qui m’est arrivée il y a pas mal d’années, dans le métro.

Il y avait beaucoup de monde, j’étais debout, face à la porte vitrée, coincé devant mon reflet. Du coup, comme je n’avais rien de mieux à faire, je me regarde, vraiment : et je découvre que j’ai une tête d’enterrement. Renfrognée, sombre, sinistre. Et sans raison particulière : certes, il faisait chaud, c’était pour aller travailler, nous étions trop serrés ; et d’ailleurs, presque tous les passagers faisaient la même tête d’enterrement.

Mais tout de même : est-ce que j’avais de bonnes raisons, de vraies raisons, d’afficher ce visage morose ? En vérité, non, aucune ! Tout allait à peu près bien dans ma vie, pas de soucis sévères ou insurmontables. Alors quoi ? Rien, juste la mauvaise habitude de me laisser aller à la moindre petite morosité.

Du coup, j’ai repensé à toutes les études scientifiques sur le sourire, et ses avantages pour soi et les autres. J’ai doucement tiré sur mes zygomatiques et j’ai installé un petit sourire sur mon visage.

Attention, pas trop gros, hein, pour ne pas incommoder ou inquiéter mes voisins. Juste le petit sourire tranquille, les yeux dans le vague, de la personne qui pense à ses vacances, ou aux gens qu’elle aime, ou à quelque chose d’agréable. Juste comme ça, pour se faire du bien et pour participer un peu à l’amélioration de l’ambiance dans les wagons de métro !

Vous ne me croirez peut-être pas, mais cet instant a été pour moi un moment fondateur, une révélation, une épiphanie : je crois que c’est depuis que je m’efforce d’adopter, comme expression de base, un léger sourire. Il me semble que ça me fait du bien. Que ça modifie mon regard sur le monde….

Si on y réfléchit, il y a au moins trois bonnes raisons de sourire le plus souvent possible.

La première raison, c’est que sourire nous met de meilleure humeur. On pense souvent que quand notre cerveau est heureux, il commande à notre visage de sourire. C’est vrai, mais ça marche aussi dans l’autre sens : quand notre face sourit, elle rend notre cervelle un peu plus joyeuse.

La deuxième raison de sourire, c’est que cela attire des bonnes choses dans notre vie, notamment de la part des autres personnes : on vient davantage vers nous, on nous accorde davantage d’aide et d’attention.

Et la troisième raison, c’est que c’est un acte de douceur et de gentillesse envers autrui, que de sourire a priori : faire la tête rend le monde un peu plus moche, et sourire rend le monde un peu plus beau. Rien qu’un peu, d’accord. Mais un peu quand même.

Il y a encore d’autres bonnes raisons de sourire le plus souvent possible. Pas tout le temps, bien sûr : inutile de nous forcer lorsque nous avons de vrais soucis ou quand nous sommes très malheureux, ou entourés de gens très malheureux. Je vous parle du sourire quand tout va à peu près bien, quand les soucis qui nous touchent ne sont que des soucis ordinaires, le petit loyer de notre vie. Et sourire alors, ça peut tout changer.

Finalement, pour moi qui aurais passé beaucoup de temps de ma vie à soigner et à enseigner en m’appuyant sur les bases de la psychologie positive, je pense que ce qui m’aura le plus aidé parmi toutes ces techniques, c’est de désormais toujours tenter de sourire dans l’adversité, dans la tristesse, dans l’inquiétude.

C’est le sourire du matin, à l’aube, alors qu’on sent le souci de vivre qui pointe le bout de son nez, qui vient roder à notre esprit, peser sur nos épaules. Et qu’on sourit quand même. Juste parce qu’on est vivant. Juste parce qu’on sent que sourire peut nous donner de la force, peut ramener des fantômes de bonheurs passés, des promesses de bonheurs possibles, un jour, malgré tout, malgré le présent un peu gris. On ne les voit pas clairement, ces fantômes et ces promesses, mais on sent que le sourire attire leur présence, là, à nos côtés.

C’est bizarre, le temps qu’il m’aura fallu, non pour comprendre cela, mais pour le faire, vraiment : pour songer à sourire dans l’adversité, avant de songer à pleurer.

 

Illustration : une petite occasion de sourire dans la rue… (une inscription Toqué Frères)

PS : cet article reprend ma chronique du 10 mai 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.