Retour du printemps et sensibilité

Dans la vie quotidienne, être trop sensible, c’est-à-dire réagir trop fortement avec ses émotions aux événements du quotidien (avoir les larmes aux yeux facilement, se trouver en détresse à la suite d’une remarque critique finalement anodine, etc.) représente souvent une gêne. Mais pas toujours…

Je pensais à ça il y a quelques jours, en recevant le mail d’un ami photographe, qui m’envoyait, ainsi qu’à notre petit groupe de copains, de belles images de nature au printemps. Et il accompagnait son message de ces mots : « On a un printemps magnifique cette année ».

Mais non, mon vieux, ce n’est pas vrai ! On n’a pas un printemps magnifique cette année ! Le printemps, c’est tous les ans qu’il est magnifique ! Et depuis des millénaires, il inspire les plus grands poètes…

C’est ça qui est merveilleux avec la nature et les émerveillements qu’elle nous procure : on ne s’y habitue jamais : tous les ans, l’arrivée d’un nouveau printemps nous met en joie. En psychologie du bonheur, il existe un phénomène appelé « habituation hédonique » : c’est le fait de s’habituer aux bonnes choses, et de s’apercevoir qu’elles ne nous rendent plus heureux au bout d’un moment.

L’habituation hédonique, c’est une sorte d’usure du bonheur, d’érosion de nos enthousiasmes. Stendhal écrivait à ce propos : “L’âme se rassasie de tout, même du bonheur”.

C’est très net pour les sources de bonheur qui viennent d’achats ou de possessions matérielles, d’objets : au début, un nouveau logement ou un nouveau boulot, de nouvelles chaussures ou une nouvelle voiture, peuvent nous rendre heureux. Puis peu à peu ce bonheur s’émousse : mettre tous les jours ses pieds dans les mêmes chaussures ou ses fesses dans la même voiture, ça ne nous rend plus heureux.

L’habituation hédonique est déjà moins importante sur des activités que nous aimons, ou sur des relations avec des personnes que nous apprécions.

Et puis, il y a des domaines dans lesquels l’habituation hédonique ne se produit quasiment jamais. Avec la nature, par exemple : sa contemplation, le retour de ses saisons, tout cela continuera de nous émerveiller et de nous bouleverser chaque année, jusqu’à notre mort… C’est quasiment biologique.

Quel rapport avec les personnes hypersensibles dont je parlais au début ? C’est que, chez elles, les mécanismes d’habituation, habituation à l’agréable ou désagréable, ne fonctionnent guère. C’est ennuyeux quand il faut s’habituer à des choses moches : la pollution, la violence, la laideur ; beaucoup d’humains finissent par s’y faire, mais pas les hypersensibles.

Par contre, ils ne s’habituent pas non plus à ce qui est beau, bon, touchant. Ils restent bouleversables par chaque retour du printemps, même à toutes petites doses ; même des frémissements de printemps, même des printemps souffreteux, qui n’arrivent pas à s’affirmer, les touchent et le réjouissent ! Il faut bien qu’il y ait quelques avantages à l’hypersensibilité…

Et vous, vous êtes sensible au retour du printemps ?

 

Illustration : un cow-boy bouleversé par le retour du printemps de l’an 1888.

PS : ce texte est inspiré de ma chronique du mardi 18 avril 2017, dans l’émission « Grand bien vous fasse », d’Ali Rebeihi, sur France Inter.