Toute sa vie à l’hôpital psychiatrique


C’était il y a quelques années, au congrès de l’Association Américaine de Psychiatrie (APA).
Un de mes confrères nord-américains faisait une conférence sur les moyens éventuels de dépister précocement la schizophrénie (pour essayer d’en faire la prévention). Il commence pour cela par nous parler de la trajectoire existentielle d’un patient (on appelle ça un “cas clinique”). Il nous montre quelques photos de lui (“avec son accord”, précise-t-il), à différents âges de sa vie.
Et il raconte son histoire : c’était un petit garçon assez mal dans sa peau, timide, avec une gaucherie chronique, maladroit, empoté. Il a suivi des études plutôt réussies, car la maladresse n’empêche pas l’intelligence, mais très tôt (dès l’âge de 23 ans) il a été amené à fréquenter l’hôpital psychiatrique. Qu’il n’a ensuite pratiquement plus quitté. Et aujourd’hui, il y passe encore la majeure partie de son temps, à l’âge de 52 ans…
“Et ce petit garçon, c’est moi !” conclut mon confrère en rigolant, et en nous projetant sa photo actuelle : s’il a passé sa vie en hôpital psychiatrique, c’est simplement qu’il est devenu psychiatre ! Malgré les problèmes de son enfance, qui auraient pu inquiéter ses parents ou les psys de l’époque, si on avait été aussi attentifs qu’aujourd’hui.
Moralité ? Prudence avec nos histoires de prédiction de risques. Une fragilité ne conduit pas toujours à une maladie. Mais toute vulnérabilité mérite d’être chouchoutée, compensée, travaillée. Comme mon confrère l’avait fait en devenant lui-même psychiatre.

Illustration : un petit humain fragile devenu psychiatre pour s’efforcer d’aller mieux et d’aider les autres à aller mieux…