Trois petites notes de musique


En feuilletant mon courrier à l’hôpital, je tombe sur l’annonce d’un projet de recherche en psychiatrie : « L’utilisation de chansons familières chez les personnes souffrant de maladie d’Alzheimer, pour faciliter l’émergence de souvenirs personnels ». La musique au secours de cette terrible dissolution de l’identité qu’est l’Alzheimer, c’est touchant et poétique… Je tourne la page de la revue, et passe aux nouvelles suivantes. Mais plusieurs fois dans la journée, ce projet revient à ma pensée. Alors je m’arrête un moment pour y songer. C’est quand même drôlement beau, comme idée. Proposer à ces patients dont la mémoire s’effiloche, dont la personnalité s’estompe, de s’ancrer, au moins l’espace d’une chanson, dans une période de leur vie, de restaurer leurs souvenirs associés à la mélodie.
La recherche est en cours, mais sans préjuger des résultats, on peut supposer qu’elle n’aura pas d’effets révolutionnaires sur l’évolution de la maladie. Ce qui est en jeu, c’est aussi de faire du bien, de redonner de petits morceaux d’identité, des paillettes de plaisir et de bonheur aussi, à l’écoute de ces chansons qui ont bercé notre existence. Dans ce paysage intérieur brumeux de l’Alzheimer, où tout peu à peu s’efface et se dissout, ce seront autant des clairières où réapparaîtront des sensations, des visages, des paroles, des souvenirs oubliés. C’est peu ? Oui, mais c’est essentiel. Vivre au présent, savourer l’instant. Donner des moments de bonheur, des sentiments d’identité. Chanter à ces frères humains dont le cerveau s’évapore les rengaines de leur jeunesse…
Je pense aux chansons que mon entourage pourrait me passer si j’avais un jour un Alzheimer. Bizarrement, cette idée ne m’angoisse pas (je dois être dans un bon jour, dans une bonne humeur prête à résister à tout, il y a des moments, comme ça…). Et puis tout à coup, moi aussi, je me souviens. Je me souviens des paroles de la chanson Trois petites notes de musique :
« Trois petites notes de musique
Ont plié boutique
Au creux du souvenir.
C’en est fini de leur tapage
Elles tournent la page
Et vont s’endormir… »
Je me dis que dans les jours qui vont suivre, j’écouterai mes musiques favorites avec présence et intensité. Qu’elles me seront deux fois plus chères. C’est ce que j’ai fait : en les écoutant ainsi, j’ai mieux compris leur dimension et leur valeur : labiles et éternelles. Comme nos instants de bonheur.