Besoin de rien, envie de quoi ?
« Vous me connaissez mal : la même ardeur me brûle, Et le désir s’accroît quand l’effet se recule. »
Ces vers célèbre de Corneille, dans sa tragédie Polyeucte, aura fait se gondoler des générations de lycéens. Mais le désir n’a pas forcément à voir avec les fesses et le sexe, c’est un concept bien plus vaste et plus sérieux ! Et pas si simple à cerner, d’ailleurs…
Qu’est-ce que le désir ? On pourrait le définir en 5 point :
- C’est la prise de conscience
- D’une tendance
- Qui nous pousse à une action
- Pour nous rapprocher d’un objet ou d’une situation
- Dont on attend du plaisir et de la satisfaction.
D’accord, c’est une définition compliquée, mais c’est parce que le désir lui-même est compliqué. D’où des confusions sur sa nature : le désir n’est pas une simple pulsion (une pulsion, on n’en a pas forcément conscience, et elle interdit l’attente en général) ; le désir n’est pas non plus une simple envie (l’envie – de manger ou de faire pipi – vise la satisfaction d’un besoin simple, là où le désir a une dimension plus existentielle – le désir d’une vie meilleure).
Source de grandeur, nos désirs sont aussi source de faiblesse, pour deux raisons distinctes.
La première, c’est que nous avons plus de facilité à désirer qu’à savourer. Savourer demande un effort, l’effort d’arrêter la course au plaisir (« est-ce que je me suis assez régalé ? »), d’arrêter la course aux comparaisons (« est-ce que les autres ont mieux que moi ou pas ? »).
Savourer impose l’effort de se dire : “c’est assez, je peux me poser et déguster un peu ce qui est là, avant de me remettre à désirer ce qui n’est pas là.”
Savourer c’est aussi se reposer, parce que le désir, l’air de rien, ça fatigue, comme le remarquait Boileau dans une de ses épitres : « Maintenant, que le temps a mûri mes désirs, j’aime mieux mon repos… »
La deuxième raison qui nous fragilise par rapport à nos désirs, c’est que ces derniers sont grandement manipulables : c’est le principe de notre société d’hyperconsommation, qui ne cherche pas seulement à satisfaire les désirs, mais au contraire à les susciter, à en provoquer sans cesse de nouveaux et à organiser un état d’insatisfaction généralisé chez les citoyens, les incitant à consommer et acheter sans cesse…
Voilà pourquoi, face à ces deux dangers, il faut prendre soin de nos désirs, les préserver à la fois de nous-même : en apprenant à savourer et pas seulement à sauter d’un désir à l’autre ; et à la fois de notre société : en cultivant conscience de soi et vie intérieure, pour réfléchir à ce dont nous avons vraiment besoin, pour que ce soit bien nos désirs que nous cherchions à satisfaire et non les désirs marchands, déposés dans notre cervelle par la pub et le marketing, comme les œufs d’un coucou posés dans le nid d’un autre oiseau.
Eh oui, nous avons à bosser pour sauver nos désirs, pour en garder la meilleure part, la plus simple, la plus élémentaire, celle que les anciens nommaient « élan vital ».
Cet élan vital, c’est le désir d’aller vers la vie, tout simplement, ce désir que Montesquieu a si joliment décrit : « Je m’éveille le matin avec une joie secrète de voir la lumière, une espèce de ravissement, et tout le reste du jour, je suis content… »
Illustration : manchots de Terre Adélie éprouvant le besoin de se dégourdir un peu les pattes.
PS : cet article reprend ma chronique du 22 novembre 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.