Boîte à bienfaits

 

 

Dans l’introduction de son chef d’œuvre, le Décaméron, rédigé lors d’une épidémie de peste au Moyen-Âge, le poète italien Boccace écrit : « En ce tourment, les entretiens d’un ami et ses louables consolations m’apportèrent un tel soulagement que j’ai la ferme conviction d’avoir par ce moyen échappé à la mort. »

Consolations pour échapper à la mort : il me semble avoir vécu une histoire semblable…

Il y a quelques années, on m’a annoncé que je souffrais d’un cancer du poumon, le genre de diagnostic qui n’a rien d’anodin, et fait planer sur soi l’aile froide de la mort ; même si, dans mon cas, les chirurgiens et cancérologues insistaient sur les bonnes chances d’efficacité du traitement.

Mais quand on commence à vous parler de scintigraphie osseuse, de recherche de métastases, d’ablation de lobes pulmonaires, de vérification des ganglions sentinelles, difficile de ne pas penser à la fin d’une histoire…

Dans ce contexte étrange, je ressentais des émotions multiples : peur de mourir, bien sûr, mais aussi chagrin de faire souffrir ma famille si je disparaissais, et tristesse de devoir quitter une vie que j’aimais ; puis bouffées de gratitude, pour avoir eu justement la chance de cette vie.

N’étant plus maître de mon destin, je ressentais un grand besoin d’amour et de consolation.

Alors, je reçus un cadeau fabuleux de mes filles et de mon épouse : une petite boîte en carton, avec des cœurs collés sur le couvercle, et contenant des mots d’affection, des souvenirs de bonheurs passés (photos, objets) et des talismans de toutes sortes. À apporter avec moi à l’hôpital, pour mon opération et les soins de suite.

Ma boîte à bienfaits, comme je la surnommais, resta toujours à mes côtés.

Plusieurs fois par jour, je la regardais, l’ouvrais, m’immergeais dans chacun de ses objets ; prenant conscience de leur puissance affective, ressentant physiquement en moi l’amour qu’ils symbolisaient… Ces moments bienfaisants offraient à mon corps malade et fragile une aide morale considérable, et aussi, j’en avais l’obscure intuition, avaient un effet biologique, guérisseur.

J’ai retenu beaucoup d’enseignements de cette période, qui m’ont aidé à mieux vivre ensuite. Mais de la boîte à bienfaits, j’ai surtout retenu celui-ci : quand nous sommes malades, en danger, il est vital de faire bon usage de toutes les preuves d’affection, de ne pas seulement les recevoir, mais les incorporer en soi. C’est ce passage par la pleine conscience des émotions ressenties, et donc par le corps, qui rend ces messages d’amour actifs pour nous sauver.

Si nos proches ne nous le proposent pas spontanément (non parce qu’ils ne nous aiment pas, mais parce qu’ils n’y pensent pas, ou ne sentent pas à quel point cela sera précieux) leur demander des mots de soutien, des talismans, et en remplir sa boîte à bienfaits.

Et à l’inverse, à chaque fois que des proches traversent de grandes adversités, sollicitons le réseau des amis pour leur offrir une boîte semblable, comme un bouquet d’affection, à respirer pour être aidé.

 

Illustration : jeune vache envoyant un mot de soutien…

PS : cette chronique a été publiée à l’origine dans Psychologies Magazine en novembre 2023.