Choisir, c’est mourir un peu…

 

 

Les personnes qui aiment bien les retraites dans les monastères disent souvent qu’elles y goûtent au bonheur du calme, de la déconnexion, de la méditation, de la prière, de la lenteur…

Mais il y a aussi le bonheur du non-choix ! Eh oui, dans un monastère, on ne se demande pas à quelle heure on se lève, qu’est-ce qu’on mange, comment s’organise la journée… Tout est calé et minuté ; et bizarrement, on ne le vit pas comme une restriction de liberté, mais au contraire comme une libération, un allègement. On se sent soulagé de tous les petits choix à faire sans cesse au quotidien, et on peut se consacrer à l’essentiel.

Choisir c’est fatigant. Et plus on a de choix plus c’est fatigant. Ce n’est pas pour rien qu’on parle de l’embarras du choix !

Notre société de consommation et d’abondance veut nous faire croire qu’avoir le plus grand nombre de choix possibles est un bien. Ce n’est pas si sûr, en tout cas pas tout le temps et pas dans tous les domaines.

Le choix entre 24 marques d’huiles d’olive, 17 modèles de voitures, 12 destinations de vacances, etc. n’est pas une si bonne chose que ça ! Vous vous souvenez du petit sentiment de recul ou de découragement face à une carte de restaurant comportant beaucoup de plats ?

Cette pléthore de choix a plein d’inconvénients : elle nous inocule de micro-stress inutiles ; elle nous fait dépenser de l’énergie psychique pour pas grand-chose (on parle alors de « fatigue décisionnelle ») ; et elle peut ensuite nous faire avoir des regrets.

On a ainsi pu montrer que les consommateurs perfectionnistes (« je dois faire le meilleur choix ») étaient plus stressés et moins heureux que les consommateurs décontractés (« bon allez, je vais pas me casser les pieds, ce truc a l’air correct, je le prends, on va pas y passer des heures… »). Et, du moins sur ce plan des choix à faire, ce qui se passe dans nos vies ressemble – eh oui – à ce qui se passe dans les linéaires du supermarché.

Ne confondons pas la profusion et la liberté, encore moins la profusion et le bonheur…

D’ailleurs, c’est peut-être de là que vient le succès des soldes : les choix sont alors plus simples, c’est « je prends ou je prends pas ? ». Encore que… Pour certains, ce choix du « j’en veux ou j’en veux pas ? » n’est pas si simple !

Choisir devrait pourtant être simple.

Mais me direz-vous, le risque d’erreur ? de passer à côté du bon choix ? de le regretter ?

La réponse est claire : le bon choix n’existe pas.

Si on hésite, c’est en général entre des choix proches, qui souvent se valent, qui ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients. Sinon, quand il y a de grandes différences, le choix est plus simple : tu préfères vivre ou mourir ? la santé ou la maladie ? le bonheur ou le malheur ?

Il est rare qu’on hésite alors.

Quant aux regrets, ils peuvent toujours exister, mais dépendent davantage de notre personnalité que de nos choix. Les perfectionnistes, les rêveurs, les peu aptes au bonheur, ont souvent des regrets. C’est logique : car choisir c’est mourir un peu ; du moins choisir c’est faire vivre une option, c’est tuer toutes les autres, que l’on pourra toujours regretter à l’infini.

Notre vie est ainsi comme un chemin parsemé des cadavres de nos choix abandonnés ; et si on se retourne trop souvent sur eux, on trouvera toujours des choses à regretter.

Le plus étonnant dans ces histoires, c’est que des chercheurs ont montré que, pour la plupart des décisions de notre vie, tirer à pile ou face donne autant de satisfaction que des choix qu’on a pris le temps de longuement réfléchir.

Alors voilà : un choix est rarement bon ou mauvais en lui-même, il le deviendra selon ce que nous en ferons ; autrement dit, il n’y a pas de bon choix a priori, c’est a posteriori que nous les rendons bons ou mauvais. Finalement, le plus gros effort, c’est de ne pas trop hésiter avant et de ne pas trop regretter après.

Pour l’avant, dans le doute, vous avez vu que la méthode du pile ou face fera aussi bien que vous.

Et pour l’après ? Eh bien, c’est comme vous voulez. Mais si vraiment vous aimez vous faire souffrir, vous pourrez toujours faire comme ce bon Jules Renard qui écrivait dans son Journal : « Une fois ma décision prise, j’hésite longuement. »

 

Illustration : ils ont fait le bon choix, celui de rester ensemble quand les prédateurs arrivent…

PS : cet article reprend ma chronique du 30 janvier 2024, que vous pouvez écouter ici ; c’était dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.