« Dis merci à la dame… »

 

« Tiens-toi droit, mouche ton nez et dis merci à la dame ». Au départ, quand on est enfants, remercier, c’est une contrainte.

N’est-ce pour autant qu’une pratique superficielle ? Voici ce que note La Bruyère, ce bon observateur de l’âme humaine : « La politesse n’inspire pas toujours la bonté, ni la gratitude ; mais elle en donne du moins les apparences, et fait paraître l’homme au dehors comme il devrait être intérieurement. »

Remercier nous fait apparaître tels que nous devrions être ; et cela pourrait, à la longue, nous inspirer…

C’est pourquoi, sans doute, dire merci fait partie de l’apprentissage de la vie en société, depuis toujours. Et comme souvent en psychologie, ce qui ressemble au départ à une contrainte peut s’avérer ensuite une évidence et une source d’épanouissement. C’est ce que j’appelle les « contraintes fécondes » : apprendre à lire, à compter, à réguler ses émotions, à écouter les autres, dire merci, pratiquer la gratitude… Autant de contraintes au départ, et de bénéfices à l’arrivée.

Et puis, en psychologie, les choses sont toujours plus compliquées qu’elles ne paraissent…

Superficielle, la politesse ? Parfois peut-être, mais souvenons-nous tout de même de la phrase de Cocteau : « Le superficiel, c’est le profond qui remonte à la surface ». La pratique de la politesse, comme celle de tous les codes relationnels du quotidien, est reliée au besoin profond de pacifier et codifier les rapports humains…

Si la gratitude est largement valorisée dans toutes les cultures, si l’ingratitude est à l’inverse stigmatisée dans toutes les sociétés, c’est que dire merci est socialement indispensable à toute vie de groupe.

Dans l’histoire humaine, le remerciement s’inscrit d’abord dans la logique primitive du don et du contre-don, décrite par les anthropologues : si autrui me donne quelque chose, je dois lui redonner autre chose, qu’il s’agisse d’un objet, d’un symbole ou d’une parole. Cette parole, c’est « merci ». Et ce « merci » est capital pour que fonctionne ce que l’on nomme le « contrat social ».

Puis, le remerciement est aussi un rappel de l’interdépendance qui structure et enrichit les sociétés humaines, et dont voici les 3 grands principes :

1) nous n’arrivons à rien de grand ou de durable tout seul,

2) nous avons, toutes et tous, des dizaines de « merci » à exprimer tout au long de notre vie,

3) avoir à dire tous ces mercis, nous devons le vivre comme une chance bien plus que comme une dépendance.

Enfin, le merci, et la pratique de la gratitude, cela fait partie d’une philosophie de vie : même si l’existence humaine est parfois compliquée et douloureuse, elle est aussi régulièrement source de nombreux moments de bonheur, pour lesquels nous vient l’envie de dire merci…

Ah ! j’allais oublier : merci de m’avoir lu jusqu’au bout !

 

Illustration : “Allez Minouchat, dis bonjour et dis merci !” (portrait de Nino Veber, en 1905, par père le peintre Jean Veber, Musée de Tours).

PS : cet article reprend ma chronique du 21 juin 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.