L’envie et ses remèdes

 

S’il y a une passion triste, une émotion négative qui fait l’unanimité contre elle, c’est bien l’envie ! Écoutez le poète Ronsard : c’est « le plus méchant et le plus vilain vice de tous… »

Écoutez le philosophe Descartes : « Il n’y a aucun vice qui nuise tant à la félicité des hommes que l’envie. » Tout le monde est d’accord : l’envie, c’est l’enfer pour les envieux, l’inconfort pour les enviés, et la sale ambiance pour tout le monde !

Comment définir l’envie ? Aristote nous dit que « L’envie est la peine que l’on éprouve à la vue du succès de nos semblables. » Plus précisément, elle est le désir douloureux de ce que d’autres possèdent, et que nous n’avons pas : un statut social et ses avantages, des biens matériels, des qualités personnelles…

L’envie peut prendre de nombreuses formes. Parfois, elle a un visage calme, celui du simple constat des chances que l’on n’a pas, un visage triste, tranquille.

Mais parfois, elle se teinte d’une montée de colère, contre soi ou contre les autres.

Colère contre soi, lorsqu’on se trouve nul de ne pas avoir pu, nous aussi, obtenir ce que d’autres ont obtenu : c’est alors une envie dépressive qui nous gagne, avec un goût d’échec ou d’infériorité.

Colère contre les autres, lorsqu’on estime – à tort ou à raison – que leurs avantages ne sont pas mérités, qu’ils ne les doivent pas à leurs efforts ou à leur travail, mais à leurs chances ou leurs privilèges. On a alors le sentiment d’une injustice, qui nous mène au ressentiment, à une forme d’envie agressive, hostile, dans laquelle, incapables de nous réjouir du bonheur des autres, nous en arrivons à souhaiter leur malheur.

Que peuvent faire les personnes envieuses face à l’envie qui les tourmente ?

Il y a bien sûr des réponses individuelles : si quelque chose nous fait envie, nous pouvons commencer par nous demander si nous en avons authentiquement envie, ou mimétiquement envie, par réflexe : dans ce cas, nous pouvons œuvrer à nous en détacher. Et si, après mûre réflexion, ce quelque chose nous fait toujours envie, nous pouvons alors travailler pour l’obtenir nous aussi. Cela revient à cultiver une troisième sorte d’envie, après la dépressive et l’agressive : l’envie émulative, qui se focalise non sur ce que les autres ont, mais sur ce qu’ils ont fait pour l’avoir.

À côté de ces réponses personnelles à l’envie, il y a aussi des réponses collectives, et même préventives. Car nous vivons tout de même dans une « société de l’envie », une société qui attise comme jamais nos désirs de statut et de possession, une société qui pousse, notamment sur les réseaux sociaux, chaque personne à mettre en avant ses privilèges, ses succès, ses avantages, bref toute ce qui n’est, bien souvent, qu’une fausse monnaie du bonheur…. Dans nos sociétés dites « post- modernes », marquées par ce que les sociologues nomment les « tensions comparatives », une des solutions préventives à l’envie prendrait alors le visage de l’élégance de la discrétion, et du non-étalage de ses avantages.

Enfin, il y a la justice. Pour Freud, la civilisation est ce qui permet la transformation de l’envie animale en désir de justice sociale. Si j’ai le sentiment que les mêmes règles du jeu sont valables pour tout le monde, et qu’elles sont respectées par tous, alors il me sera plus facile de ne pas ressentir d’envie toxique. C’est ce qui se passe dans le monde du sport, où les performances de mes adversaires suscitent en général une envie émulative plutôt qu’agressive.

Ah la la ! Examiner ses désirs et trier le vrai du faux, ne pas se faire prendre au piège de l’envie mimétique, militer pour plus de justice sociale… Quel boulot pour se débarrasser de l’envie. Mais à la sortie, quelle récompense : la liberté retrouvée, la capacité d’admirer, de se réjouir du succès des autres, de s’en inspirer. Sûr qu’on va mieux respirer, et mieux dormir…

 

Illustration : trois jeunes libellules observant avec une envie émulative leurs aînées voltiger avec grâce…

PS : cet article reprend ma chronique du 15 mars 2022 dans l’émission de France Inter, Grand Bien Vous Fasse.