Femmes au travail
Quand j’étais étudiant, à la fin du siècle dernier, l’Europe était coupée en deux : au-delà de ce qu’on appelait le « rideau de fer », les pays de l’Est (Hongrie, Pologne, Roumanie, ce qui allait devenir l’Ukraine et bien d’autres nations encore) vivaient sous la dictature communiste de l’Union Soviétique. Y voyager représentait une expérience étrange : les gens y étaient souvent tristes et renfermés, les magasins vides, les équipements délabrés.
Mais à côté de ces aspects désolants, il y avait aussi des choses étonnantes, du moins à mes yeux : par exemple de nombreuses femmes travaillant sur les chantiers, ramassant les poubelles, accomplissant divers travaux et métiers que l’on considérait à l’Ouest comme pénibles, physiques, et devant être réservés aux hommes. C’était un des bons côtés de ces pays communistes, l’égalité affichée (en vrai, c’était un peu plus compliqué, comme partout ailleurs) entre femmes et hommes. On pouvait admirer cela aussi sur les affiches de propagande, qui montraient toujours des ouvrières aux côtés des ouvriers, des paysannes aux côtés des paysans ; et tout le monde avec l’air déterminé et content !
Aujourd’hui, dans notre XXIème siècle débutant, cette réalité se décline aussi en Occident : les femmes jouent au foot et au rugby, travaillent dans la police ou dans l’armée. Ou bien, dans des métiers où elles étaient présentes (travaillant dur mais restant dans l’ombre, comme en médecine ou dans l’agriculture, où elles ne pouvaient être qu’aux ordres des hommes), les femmes sont de plus en plus nombreuses à passer désormais aux postes de commandement. Impensable il y a quelques décennies. Et réjouissant.
Réjouissant d’abord pour le père de trois filles que je suis. Fort égoïstement, j’aurais détesté les voir grandir dans un monde où elles auraient été cloitrées et empêchées ; et je suis heureux de voir que, même s’il reste encore des progrès à accomplir, les choses s’améliorent beaucoup pour la place des femmes dans nos sociétés.
Réjouissant ensuite pour le citoyen que je suis : les femmes en ont bien bavé dans nos sociétés patriarcales, et nos yeux de mâles s’ouvrent, lentement mais sûrement, sur tout ce que nous ne savions ou voulions pas voir en matière d’inégalités, moi le premier.
Réjouissant enfin pour l’enfant curieux toujours en moi : je me demande bien ce que va donner notre monde, au fur et à mesure que les femmes y prendront leur place légitime, occuperont peu à peu les fonctions de leur choix, et les postes de décision et de pouvoir.
Je me demande si les bêtises, fort nombreuses, que les humains ont accomplies méthodiquement, siècles après siècles, étaient dues à quelque chose de spécifique aux hommes, une histoire d’hormones et de testostérone, ou de neurones et de câblages cérébraux ? Et si du coup les femmes sauront nous proposer autre chose ?
Ou bien si ces bêtises relevaient juste du fait que les hommes étaient seuls à disposer du pouvoir d’agir, et donc du pouvoir de nuire ? Et si du coup, les femmes, disposant enfin du même pouvoir, pourront hélas, elles aussi, faire leur part de mal à la planète et à ses habitants ?
Bon, en vrai, mon avis, c’est que même si cette seconde option s’avérait juste, avoir vu les gars aussi mal s’y prendre devrait être une source d’inspiration négative (« ne pas faire comme eux ») pour les filles de demain. On verra bien, mais en tout cas, il va être vraiment intéressant, ce XXIème siècle !
Illustration : “Des femmes au travail ? Pas sérieux, cette histoire…” (une statue de cardinal bougon, à la cathédrale de Saint-Malo).
PS : cet article a été initialement publié dans la revue Kaizen n° 67, en 2023.