Sommeil, stress et bonté

 

« Qui veut faire l’ange fait la bête » nous avertit le philosophe Pascal, nous mettant en garde contre des résolutions aux ambitions morales trop élevées. Même si on n’est pas obligé de le suivre jusqu’au bout (l’échec de nos bonnes intentions ne nous pousse pas forcément à de mauvaises actions), il est certain qu’en tout cas, pour faire l’ange, pour tenir ses résolutions et ses projets de devenir meilleur, il est capital de s’occuper de la bête en nous, celle qui a besoin de nourriture, de caresses et de sommeil !

Une étude scientifique récente montre ainsi que la diminution de notre temps de sommeil diminue dès le lendemain nos comportements altruistes. Cela vaut pour la réduction de sommeil provoquée chez des volontaires, comme pour celle observée à plus grande échelle les lendemains de changement d’heure de printemps (qui nous inflige une heure de sommeil en moins).

Une autre étude célèbre avait déjà montré en son temps que la pression du temps pouvait jouer le même rôle : des étudiants en théologie qui devaient se rendre à un studio pour enregistrer une homélie (sur le thème de l’altruisme !) avaient tendance à ne pas s’arrêter si un homme allongé au sol (comparse des chercheurs) leur demandait de l’aide sur leur chemin, pour peu qu’on leur ait dit peu avant : « dépêchez-vous, le studio va fermer ». Alors que ceux à qui on avait dit qu’ils avaient tout leur temps s’arrêtaient pour la plupart afin d’aider l’inconnu.

Bien d’autres travaux ont confirmé cela, dans des domaines plus triviaux : si on fait ses courses à jeun, on achète davantage de nourriture. Amusant, mais il y a plus préoccupant :  d’autres expériences montrent que l’on ment ou triche plus facilement quand on est à jeun ! Même nos valeurs et nos idéaux sont sensibles à nos contingences corporelles !

Ce qui valide une des évolutions récentes de la psychologie : pour que notre cerveau fonctionne au mieux, nous avons à prendre soin de notre corps, et à comprendre que nous ne sommes pas de purs esprits. On le sait depuis toujours, me direz-vous. C’est vrai, mais longtemps, la psychothérapie par exemple se résumait à un exercice intellectuel. Et cela ne concerne pas seulement la psychanalyse et son divan ; en psychiatrie par exemple nous exercions notre métier sans guère prendre le temps de conseiller à nos patients exercice physique, yoga, ou alimentation anti-inflammatoire. Fort heureusement, les évolutions récentes, avec la méditation de pleine conscience (où l’on prête grande attention à l’état du corps) ou les thérapies psycho-corporelles, ont remis le corps à sa juste place : centrale !

Allez, écoutons un autre philosophe, latin celui-là, le stoïcien Sénèque : « Il n’y a pas de vent favorable pour qui ne sait pas où il va. » Certes, il est important d’avoir un cap psychologique et des idéaux ; mais il est tout aussi important, pour rester dans la métaphore maritime, de prendre soin aussi de son bateau ! Le respect du corps ne relève pas du nombrilisme : pour élever notre esprit, chouchoutons notre corps !

 

Illustration : Qui veut faire l’ange fait la bête, semble nous dire ce détail d’une oeuvre du génial Gérard Garrouste. 

PS : cette chronique a été publiée à l’origine dans Psychologies Magazine en mars 2023.

Articles cités :

Sleep loss leads to the withdrawal of human helping across individuals, groups, and large-scale societies. PLoS Biology 2022, 20(8): e3001733.

“From Jerusalem to Jericho”: A study of situational and dispositional variables in helping behavior. Journal of Personality and Social Psychology 1973, 27(1) : 100-108.

 The Valjean Effect : visceral states and cheating. Emotion 2016, 16(6) : 897-902.