Jeux de plage

 

En été, les plages sont bondées, et chacun y défend son carré de sable : intérêt limité. Mais dès que le temps des vacances est passé, la plage redevient un lieu fréquentable, un endroit magnifique : la nature y reprend ses droits, on peut à nouveau marcher droit au lieu de zigzaguer entre les serviettes, sentir l’odeur des embruns et non celle des crèmes solaires, écouter le bruit du vent et non celui des humains.

Ne vous y trompez pas, ce n’est pas de la misanthropie : j’aime les plages hors-saison, parce qu’on peut y observer enfin des personnes humaines et non pas des foules de touristes.

Observer des personnes comme ces deux dames qui parlent en marchant ; à un moment, l’une a des choses tellement importantes à dire à l’autre qu’elle s’arrête, et se met à gesticuler, comme si, pour consacrer toute sa force à ses propos et aux gestes de ses bras, elle devait ne plus avancer. Je me demande de quoi elle parle, et s’il y a d’autres moments où notre corps, comme ça, nous impose l’immobilité ?

Observer l’inépuisable joie des chiens, toujours heureux de courir ventre à terre dans de grands espaces, toujours ravis de rencontrer des congénères, puis de revenir vers leurs maîtres. Si la joie est contagieuse, ce que je crois, alors les chiens sont de sacrés antidépresseurs.

Observer une jeune maman, qui a enlevé son bébé de sa poussette et le tient dans ses bras, à l’horizontale, juste au-dessus de la fin des vagues qui vont et viennent, recouvrant le sable puis le découvrant. Il a l’air passionné par ce mouvement, ce bruit, ces odeurs. Il ne se souviendra jamais consciemment de cet instant mais en sera, je crois, imprégné pour toujours.

Observer un chercheur de trésor avec son appareil à bips, marchant tête baissée vers le sable. Je l’arrête et lui demande ce qu’on trouve sur une plage, et il me montre sa besace : quelques piécettes, des vis, des clés, des charnières de métal. Fait-il ça par ennui, par espoir de tomber un jour sur un trésor rejeté par la marée, ou pour une autre raison obscure ?

Observer les contemplatives et les contemplatifs, qui, immobiles, scrutent longuement l’océan. Que se passe-t-il à cet instant, dans leurs têtes, et dans leurs vies ? Combien ont des chagrins d’amour, combien savent qu’ils vont mourir bientôt, combien sont simplement heureux et bouleversés par la beauté du monde ?

Enfin, quand je suis las d’observer les humains, ou quand il n’y en a plus sur la plage, je m’amuse à marcher les yeux fermés, en essayant d’avancer droit, guidé par le bruit des vagues et le souffle du vent, n’ouvrant les yeux que de loin en loin pour réajuster ma trajectoire.

À cet instant, je fais, moi aussi, partie du spectacle des choses étranges à observer sur une plage déserte…

PS : ce texte a été publié dans Psychologies Magazine, en août 2021.

Illustration : de beaux calamars, sur une gravure ancienne de 1731.