Liberté ou libération ?

Ça commence par un mot : liberté. Un mot que tout le monde aime, un mot 100% positif, qui évoque légèreté, énergie, mouvement, absence de contraintes.

Puis on réfléchit, et on se rappelle que nous ne sommes pas seuls au monde, et que notre liberté s’arrête où commence celle des autres ; elle n’est que relative, dépend des lieux, des époques, des cultures… On se rappelle aussi qu’elle est un idéal pas toujours facile à atteindre ; qu’elle relève plus, finalement, de la philosophie que de la psychologie. Et que, si l’on veut passer de la réflexion à l’action, il y a peut-être quelque chose de plus intéressant, c’est la libération, le travail de libération, quotidien, qui nous rapproche chaque jour de la liberté.

D’accord pour la libération ! Mais de quoi, de quelles chaînes ? Les premières qui nous viennent à l’esprit sont les chaînes et servitudes extérieures : obligations familiales et professionnelles, contraintes sociales, qui parfois nous étouffent et nous aliènent. L’outil de la libération personnelle est alors le mot « non » : non à trop de travail, non à trop de conventions, non à la course à l’argent, à la sécurité matérielle, non aux achats répétés, ces fausses libertés de consommer, qui compensent bien mal nos frustrations de vraies libertés…

Puis, peu à peu, on comprend que si nous nous sommes empêtrés dans tant de chaînes extérieures, c’est que nous n’avons fait le ménage à l’intérieur, que les chaînes sont aussi, et surtout, en-dedans de nous : nos peurs, nos habitudes, nos conformismes, notre passé… Voilà, nous y sommes : la liberté, on ne sait pas toujours clairement ce que c’est.

Si on vous demande : dessine-moi la liberté, que ferez-vous apparaître sur le papier ? Mais la libération, elle, a un visage : quel geste accomplir chaque jour ? Ne pas faire le ménage et aller marcher dans la forêt ? Ignorer les réseaux sociaux et parler à une personne réelle ? Refuser cette invitation qui m’ennuie ?  Refuser ce boulot qui va au-delà de mes limites ? Ne pas acheter cet objet inutile ?

Dans l’armée américaine, un des régiments de l’US Air Force a adopté cette devise : « Le prix de la liberté, c’est la vigilance éternelle. » Clair, mais un peu martial ! Le travail de libération intérieure a aussi été observé et décrit par les ermites chrétiens des premiers siècles, qui parlaient de la « vigilance du cœur » : belle expression, rappelant que cette vigilance doit s’exercer dans la bienveillance. Et qu’elle doit être comprise comme une démarche passionnante, à accomplir et renouveler tout au long de notre vie : c’est si bon d’apprendre, de progresser, de sentir que le temps qui passe nous enrichit, nous rend plus lucides, plus sages.

Et plus libres !

PS : ce texte a été publié dans la revue CHEMINS en mars 2021.

Illustration : “allez mon gars, profite un peu de ta liberté, nous sommes enfin déconfinés…” (un gobie jaune, au Japon, photographié par le talentueux Brian Skerry)