La vie dans les bois

 

« Lorsque j’écrivis les pages qui suivent, du moins la plus grande partie, je vivais seul au milieu des bois, sans un voisin dans un rayon d’un mille, dans une maison que je m’étais bâtie moi-même sur les rives de l’étang de Walden, à Concord, dans l’état de Massachusetts, gagnant de quoi subsister par le seul travail de mes mains. J’ai vécu là deux ans et deux mois. Aujourd’hui je suis revenu à la vie civilisée. »

Ainsi commence Walden, récit autobiographique de l’écrivain américain Henry Thoreau, qui peut se lire comme un passionnant traité sur l’approche du bonheur par le dépouillement de tout ce qui n’est pas indispensable. Avoir un toit, de quoi manger, quelques rencontres avec d’autres humains, et surtout un contact quotidien avec la nature : voilà ce qui composa la vie de Thoreau pendant ses deux années de vie dans les bois. Et qui le rendit heureux.

La forêt dans laquelle Thoreau passe ses journées à flâner, méditer, travailler de ses mains est pour lui plus qu’un cadre de vie agréable : elle est la source même de sa philosophie.

Mais la forêt est aussi le témoin de la dangerosité des humains, de leur avidité, et Thoreau s’étonne de ce qu’une personne passant (comme lui) ses journées à marcher dans les bois soit considérée comme paresseuse et marginale, alors qu’une autre décidant de tailler la forêt en planches soit vue comme estimable et entreprenante : « Je rêve d’un peuple qui commencerait par brûler les clôtures et laisser croître les forêts. »

Enfin, pour Thoreau, la forêt incarne mieux que tout autre lieu l’héritage reçu par l’humanité, et les messages que celle-ci doit entendre : notre avenir n’est pas dans l’accumulation et l’exploitation, mais dans la contemplation et la sobriété. Pour tout cela, bien que mort jeune, à 44 ans, en 1862, Thoreau reste un précurseur ; son œuvre fascina des générations de lecteurs, de Proust à Gandhi, et reste une source d’inspiration pour les mouvements écologiques contemporains.

Son regard sur la forêt contient le pressentiment de tout ce que la science du XXIème siècle confirmera ensuite : l’importance de respecter la biodiversité (rien de plus sinistre et fragile que les forêts plantées d’une seule essence), le rôle de la forêt sur notre santé (les études confirment que 2 jours de marche dans les bois non seulement réduisent notre stress, mais améliorent durablement notre immunité), son aide considérable à notre intelligence et notre sagesse : « Une relation constante avec la nature et la contemplation des phénomènes naturels sont indispensables à la préservation de la santé morale et intellectuelle. Ni la discipline des écoles, ni celle des affaires, ne pourront jamais procurer pareille sérénité à l’esprit. »

« C’est dans les bois que j’aimerais trouver l’Homme », notait Thoreau. Moi aussi, j’aimerais bien que l’on retrouve plus souvent nos contemporains dans la forêt que devant les écrans, sur les sentiers boisés plus que dans les galeries marchandes.

Pour cela il va nous falloir éduquer (les enfants et leurs parents), protéger (toutes les forêts de la planète), et planter (inlassablement, jusqu’au cœur des villes). Mais j’ai l’impression que les choses sont en bonne voie : nous avons déjà compris que pour le réchauffement climatique, pour la biodiversité, pour notre santé, les forêts sont nos alliées.

Le jour où nous comprendrons qu’elles nous délivrent aussi des leçons de sagesse, alors nous serons sauvé.e.s !

PS : cet article a été publié dans KAIZEN durant l’été 2021.

Illustration : “La forêt, patrimoine de l’avenir”. Ce n’est pas faute d’avoir été avertis…