La charge mentale

Au départ, nous les humains, nous sommes des chanceux :
nous avons un chouette cerveau qui peut nous aider à voyager dans le temps et l’espace.
Nous aider par exemple à anticiper : à rêver de nos prochaines vacances, à
faire des projets pour notre retraite, à savourer le futur par avance, à mieux
le préparer…

Mais ces mêmes capacités d’anticipation et de planification,
situées dans notre cortex préfrontal, ces capacités organisatrices si
précieuses peuvent déraper, et se transformer en moteurs à anxiété, en
fabriques d’inquiétude. Ces capacités à nous projeter plus tard ou ailleurs
peuvent faire qu’on n’est jamais totalement présent à l’instant, qu’il s’agisse
de loisirs : on est dimanche mais on pense au lundi ; ou de
travail : on est au bureau mais on pense aux courses à faire en
sortant ; on pense par exemple à ne pas oublier d’acheter des cornichons,
de la moutarde, du pain et tout ça…

C’est ce qu’on
appelle en psychologie expérimentale « l’effet Zeigarnik », du nom de
la chercheuse russe Bluma Zeigarnik. Celle-ci a montré, dès les années 1920,
que toutes les tâches que nous n’avons pas eu le temps de terminer nous restent
davantage en tête que celles que nous avons pu achever. Elles nous restent en
tête, et donc nous tourmentent un peu, nous mettent la pression, nous
démangent, nous poussent vers l’action… Car faire soulage ! Boucler un
dossier, clore une action, ça fait baisser la tension mentale.

Le problème
évidemment, c’est quand on a plein de choses à faire : alors, la
liste de ces choses à faire, et donc pas encore faites, reste bien au chaud
dans notre tête, mais elle n’y reste pas calmement, elle nous met la pression,
insidieusement. C’est ça, la charge mentale : devoir héberger à notre
esprit toutes les listes remuantes de ce que nous n’avons pas encore eu le
temps de faire.

Et la charge
mentale, c’est aussi savoir, au fond de nous, que nous n’aurons jamais assez de
temps pour toutes les faire, ces choses, ou du moins pour toutes les faire
tranquillement, calmement, comme il faudrait. Il va falloir accélérer,  il va falloir speeder, il va falloir,
surtout, ne pas se reposer, ne pas perdre de temps… C’est là que les ennuis
commencent.

Il est alors urgent
de pratiquer l’exercice du canapé !

Le soir, en
rentrant chez soi, on commence par s’asseoir dans le canapé, pour respirer, se
détendre, tranquille, ne rien faire pendant 5 mn ; non, plutôt 10 mn,
allez, tant qu’on y est ! Évidemment, à peine assis, on est attaqué de
tous les côtés ; attaqués par nos pensées, nos propres pensées, les
pensées sur les choses à faire : « quoi ? comment ? tu te
poses un instant ? alors que tu n’as pas fait les courses, pas acheté les
cornichons ? pas rangé la maison,  alors que des amis viennent dîner ? pas
commencé à préparer le repas ? pas terminé de répondre à tes mails de
boulot ? pas téléphoné à ta copine qui vient de divorcer ? pas
vérifié que les enfants étaient bien sur leurs devoirs et pas sur leurs
écrans ? »

Là, on
s’aperçoit qu’on s’est déjà remis debout pour agir, pour cocher des trucs sur
la liste des choses à faire. Alors, on dit NON, et on reste dans
l’exercice : on se rassied et on respire, juste ça, respirer. Les pensées
attaquent encore ? On leur redit NON, et on leur explique :
« non, c’est bon, j’ai compris ! J’aurai toujours des choses à
faire, même sans jamais dormir, sans jamais me reposer. Alors là, j’ai décidé
de faire une chose encore plus importante : prendre soin de moi, me
reposer, souffler. Tout le reste, n’importe qui peut le faire à ma place :
ranger, nettoyer, travailler ; quand je serai mort ou malade, d’autres le
feront. Mais me poser et me reposer, il n’y a que moi qui puisse le faire. Et
c’est maintenant, tant que je suis vivant… »

Voilà, à partir
de désormais, grâce à cette chronique, ce sera comme ça tous les soirs, on fera
l’exercice du canapé ! La charge mentale n’a qu’à bien se tenir !

Et, vous, qui appréciez la psychologie puisque vous fréquentez ces pages, vous la ressentez cette charge mentale ? De temps en
temps ? Ou tout le temps ? Et d’ailleurs, vous avez un canapé chez
vous ?


Illustration : ” Et halte aussi à la charge mentale !”



PS : ce texte reprend ma chronique du 10 avril 2018, dans l’émission de mon ami Ali Rebehi, “Grand bien vous fasse“, tous les jours de 10h à 11h sur France Inter.